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[15]qui servait sa famille depuis nombre d’annees, s’approcha de lui.

–Ah! mon pauvre Jean! s’ecria-t-il, tu sais ce qui s’est passe depuis mon depart. Est-il possible que mon pere nous quitte sans avertissement, sans adieu?

[20]–Il est parti, repondit Jean, mais non pas sans vous dire adieu.

En meme temps il tira de sa poche une lettre qu’il donna a son jeune maitre. Croisilles reconnut l’ecriture de son pere, et, avant d’ouvrir la lettre, il la baisa avec transport; [25]mais elle ne renfermait que quelques mots. Au lieu de sentir sa peine adoucie, le jeune homme la trouva confirmee. Honnete jusque-la et connu pour tel, ruine par un malheur imprevu (la banqueroute d’un associe), le vieil orfevre n’avait laisse a son fils que quelques paroles [30]banales de consolation, et nul espoir, sinon cet espoir vague, sans but ni raison, le dernier bien, dit-on, qui se Perde.

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–Jean, mon ami, tu m’as berce, dit Croisilles apres avoir lu la lettre, et tu es certainement aujourd’hui le seul etre qui puisse m’aimer un peu; c’est une chose qui m’est bien douce, mais qui est facheuse pour toi; car, aussi vrai [5]que mon pere s’est embarque la, je vais me jeter dans cette mer qui le porte, non pas devant toi ni tout de suite, mais un jour ou l’autre, car je suis perdu.

–Que voulez~vous y faire? repliqua Jean, n’ayant point l’air d’avoir entendu, mais retenant Croisilles par le pan de [10]son habit; que voulez~vous y faire, mon cher maitre? Votre pere a ete trompe; il attendait de l’argent qui n’est pas venu, et ce n’etait pas peu de chose. Pouvait-il rester ici? Je l’ai vu, monsieur, gagner sa fortune depuis trente ans que je le sers; je l’ai vu travailler, faire son commerce, et [15]les ecus arriver un a un chez vous. C’est un honnete homme, et habile; on a cruellement abuse de lui. Ces jours derniers, j’etais encore la, et comme les ecus etaient arrives, je les ai vus partir du logis. Votre pere a paye tout ce qu’il a pu pendant une journee entiere; et, lorsque son secretaire [20]a ete vide, il n’a pu s’empecher de me dire, en me montrant un tiroir ou il ne restait que six francs: “Il y avait ici cent mille francs ce matin!” Ce n’est pas la une banqueroute, monsieur, ce n’est point une chose qui deshonore!

–Je ne doute pas plus de la probite de mon pere, [25]repondit Croisilles, que de son malheur. Je ne doute pas non plus de son affection; mais j’aurais voulu l’embrasser, car que veux-tu que je devienne? Je ne suis point fait a la misere, je n’ai pas l’esprit necessaire pour recommencer ma fortune. Et quand je l’aurais? mon pere est parti. [30]S’il a mis trente ans a s’enrichir, combien m’en faudra-t-il pour reparer ce coup? Bien davantage. Et vivra-t-il alors? Non sans doute; il mourra la-bas, et je ne puis pas

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meme l’y aller trouver; je ne puis le rejoindre qu’en mourant aussi.

Tout desole qu’etait Croisilles, il avait beaucoup de religion. Quoique son desespoir lui fit desirer la mort, il [5]hesitait a se la donner. Des les premiers mots de cet entretien, il s’etait appuye sur le bras de Jean, et tous deux retournaient vers la ville. Lorsqu’ils furent entres dans les rues, et lorsque la mer ne fut plus si proche:

–Mais, monsieur, dit encore Jean, il me semble qu’un [10]homme de bien a le droit de vivre, et qu’un malheur ne prouve rien. Puisque votre pere ne s’est pas tue, Dieu merci, comment pouvez-vous songer a mourir? Puisqu’il n’y a point de deshonneur, et toute la ville le sait, que penserait-on de vous? Que vous n’avez pu supporter la [15]pauvrete. Ce ne serait ni brave ni chretien; car, au fond, qu’est-ce qui vous effraye? Il y a des gens qui naissent pauvres, et qui n’ont jamais eu ni pere ni mere. Je sais bien que tout le monde ne se ressemble pas, mais enfin il n’y a rien d’impossible a Dieu. Qu’est-ce que vous feriez [20]en pareil cas? Votre pere n’etait pas ne riche, tant s’en faut, sans vous offenser, et c’est peut-etre ce qui le console. Si vous aviez ete ici depuis un mois, cela vous aurait donne du courage. Oui, monsieur, on peut se ruiner, personne n’est a l’abri d’une banqueroute; mais votre pere, [25]j’ose le dire, a ete un homme, quoiqu’il soit parti un peu vite. Mais que voulez-vous? on ne trouve pas tous les jours un batiment pour l’Amerique. Je l’ai accompagne jusque sur le port, et si vous aviez vu sa tristesse! comme il m’a recommande d’avoir soin de vous, de lui donner de [30]vos nouvelles!… Monsieur, c’est une vilaine idee que vous avez de jeter le manche apres la cognee. Chacun a son temps d’epreuve ici-bas, et j’ai ete soldat avant d’etre

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domestique. J’ai rudement souffert, mais j’etais jeune; j’avais votre age, monsieur, a cette epoque-la, et il me semblait que la Providence ne peut pas dire son dernier mot a un homme de vingt-cinq ans. Pourquoi voulez-vous [5]empecher le bon Dieu de reparer le mal qu’il vous fait? Laissez-lui le temps, et tout s’arrangera. S’il m’etait permis de vous conseiller, vous attendriez seulement deux ou trois ans, et je gagerais que vous vous en trouveriez bien. Il y a toujours moyen de s’en aller de ce monde. [10]Pourquoi voulez-vous profiter d’un mauvais moment?

Pendant que Jean s’evertuait a persuader son maitre, celui-ci marchait en silence, et, comme font souvent ceux qui souffrent, il regardait de cote et d’autre, comme pour chercher quelque chose qui put le rattacher a la vie. Le [15]hasard fit que, sur ces entrefaites, mademoiselle Godeau, la fille du fermier general, vint a passer avec sa gouvernante. L’hotel qu’elle habitait n’etait pas eloigne de la; Croisilles la vit entrer chez elle. Cette rencontre produisit sur lui plus d’effet que tous les raisonnements du monde. [20]J’ai dit qu’il etait un peu fou, et qu’il cedait presque toujours a un premier mouvement. Sans hesiter plus long-temps et sans s’expliquer, il quitta le bras de son vieux domestique, et alla frapper a la porte de M. Godeau.

II

Quand on se represente aujourd’hui ce qu’on appelait [25]jadis un financier, on imagine un ventre enorme, de courtes jambes, une immense perruque, une large face a triple menton, et ce n’est pas sans raison qu’on s’est habitue a se figurer ainsi ce personnage. Tout le monde sait a quels abus ont donne lieu les fermes royales, et il semble qu’il

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y ait une loi de nature qui rende plus gras que le reste des hommes ceux qui s’engraissent non-seulement de leur propre oisivete, mais encore du travail des autres. M. Godeau, parmi les financiers, etait des plus classiques qu’on [5]put voir, c’est-a-dire des plus gros; pour l’instant il avait la goutte, chose fort a la mode en ce temps-la, comme l’est a present la migraine. Couche sur une chaise longue, les yeux a demi fermes, il se dorlotait au fond d’un boudoir. Les panneaux de glaces qui l’environnaient repetaient majestueusement de toutes parts son enorme personne; [10]des sacs pleins d’or couvraient sa table; autour de lui, les meubles, les lambris, les portes, les serrures, la cheminee, le plafond, etaient dores; son habit l’etait; je ne sais si sa cervelle ne l’etait pas aussi. Il calculait les suites d’une [15]petite affaire qui ne pouvait manquer de lui rapporter quelques milliers de louis; il daignait en sourire tout seul, lorsqu’on lui annonca Croisilles, qui entra d’un air humble mais resolu, et dans tout le desordre qu’on peut supposer d’un homme qui a grande envie de se noyer. M. Godeau [20]fut un peu surpris de cette visite inattendue; il crut que sa fille avait fait quelque emplette; il fut confirme dans cette pensee en la voyant paraitre presque en meme temps que le jeune homme. Il fit signe a Croisilles, non pas de s’asseoir, mais de parler. La demoiselle prit place sur un [25]sofa, et Croisilles, reste debout, s’exprima a peu pres en ces termes:

–Monsieur, mon pere vient de faire faillite. La banqueroute d’un associe l’a force a suspendre ses payements, et, ne pouvant assister a sa propre honte, il s’est enfui en [30]Amerique, apres avoir donne a ses creanciers jusqu’a son dernier sou. J’etais absent lorsque cela s’est passe; j’arrive, et il y a deux heures que je sais cet evenement. Je

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suis absolument sans ressources et determine a mourir. Il est tres-probable qu’en sortant de chez vous je vais me jeter a l’eau. Je l’aurais deja fait, selon toute apparence, si le hasard ne m’avait fait rencontrer mademoiselle votre [5]fille tout a l’heure. Je l’aime, monsieur, du plus profond de mon coeur; il y a deux ans que je suis amoureux d’elle, et je me suis tu jusqu’ici a cause du respect que je lui dois; mais aujourd’hui, en vous le declarant, je remplis un devoir indispensable, et je croirais offenser Dieu si, avant de [10]me donner la mort, je ne venais pas vous demander si vous voulez, que j’epouse mademoiselle Julie. Je n’ai pas la moindre esperance que vous m’accordiez cette demande, mais je dois neanmoins vous la faire; car je suis bon chretien, monsieur, et lorsqu’un bon chretien se voit arrive a [15]un tel degre de malheur, qu’il ne lui soit plus possible de souffrir la vie, il doit du moins, pour attenuer son crime, epuiser toutes les chances qui lui restent avant de prendre un dernier parti.

Au commencement de ce discours, M. Godeau avait [20]suppose qu’on venait lui emprunter de l’argent, et il avait jete prudemment son mouchoir sur les sacs places aupres de lui, preparant d’avance un refus poli, car il avait toujours eu de la bienveillance pour le pere de Croisilles. Mais quand il eut ecoute jusqu’au bout, et qu’il eut compris de [25]quoi il s’agissait, il ne douta pas que le pauvre garcon ne fut devenu completement fou. Il eut d’abord quelque envie de sonner et de le faire mettre a la porte; mais il lui trouva une apparence si ferme, un visage si determine, qu’il eut pitie d’une demence si tranquille. Il se contenta [30]de dire a sa fille de se retirer, afin de ne pas l’exposer plus longtemps a entendre de pareilles inconvenances.

Pendant que Croisilles avait parle, mademoiselle

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Godeau etait devenue rouge comme une peche au mois d’aout. Sur l’ordre de son pere, elle se retira. Le jeune homme lui fit un profond salut dont elle ne sembla pas s’apercevoir. Demeure seul avec Croisilles, M. Godeau toussa, se souleva, [5]se laissa retomber sur ses coussins, et s’efforcant de prendre un air paternel:

–Mon garcon, dit-il, je veux bien croire que tu ne te moques pas de moi et que tu as reellement perdu la tete. Non-seulement j’excuse ta demarche, mais je consens a [10]ne point t’en punir. Je suis fache que ton pauvre diable de pere ait fait banqueroute et qu’il ait decampe; c’est fort triste, et je comprends assez que cela t’ait tourne la cervelle. Je veux faire quelque chose pour toi; prends un pliant et assieds-toi la.

[15]–C’est inutile, monsieur, repondit Croisilles; du moment que vous me refusez, je n’ai plus qu’a prendre conge de vous. Je vous souhaite toutes sortes de prosperites.

–Et ou t’en vas-tu?

–Ecrire a mon pere et lui dire adieu.

[20]–Eh, que diantre! on jurerait que tu dis vrai; tu vas te noyer, ou le diable m’emporte.

–Oui, monsieur; du moins je le crois, si le courage ne m’abandonne pas.

–La belle avance! fi donc! quelle niaiserie! Assieds-toi, [25]te dis-je, et ecoute-moi.

M. Godeau venait de faire une reflexion fort juste, c’est qu’il n’est jamais agreable qu’on dise qu’un homme, quel qu’il soit, s’est jete a l’eau en nous quittant. Il toussa donc de nouveau, prit sa tabatiere, jeta un regard distrait [30]sur son jabot, et continua.

–Tu n’es qu’un sot, un fou, un enfant, c’est clair, tu ne sais ce que tu dis. Tu es ruine, voila ton affaire. Mais,

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mon cher ami, tout cela ne suffit pas; il faut reflechir aux choses de ce monde. Si tu venais me demander… je ne sais quoi, un bon conseil, eh bien! passe; mais qu’est-ce que tu veux? tu es amoureux de ma fille?

[5]–Oui, monsieur, et je vous repete que je suis bien eloigne de supposer que vous puissiez me la donner pour femme; mais comme il n’y a que cela au monde qui pourrait m’empecher de mourir, si vous croyez en Dieu, comme je n’en doute pas, vous comprendrez la raison qui [10]m’amene.

–Que je croie en Dieu ou non, cela ne te regarde pas, je n’entends pas qu’on m’interroge; reponds d’abord: Ou as-tu vu ma fille?

–Dans la boutique de mon pere et dans cette maison, [15]lorsque j’y ai apporte des bijoux pour mademoiselle Julie.

–Qui est-ce qui t’a dit qu’elle s’appelle Julie? On ne s’y reconnait plus, Dieu me pardonne! Mais, qu’elle s’appelle Julie ou Javotte, sais-tu ce qu’il faut, avant tout, [20]pour oser pretendre a la main de la fille d’un fermier general?

–Non, je l’ignore absolument, a moins que ce ne soit. d’etre aussi riche qu’elle.

–Il faut autre chose, mon cher, il faut un nom.

[25]–Eh bien! je m’appelle Croisilles.

–Tu t’appelles Croisilles, malheureux! Est-ce un nom que Croisilles?

–Ma foi, monsieur, en mon ame et conscience, c’est un aussi beau nom que Godeau.

[30]–Tu es un impertinent, et tu me le payeras.

–Eh, mon Dieu! monsieur, ne vous fachez pas; je n’ai pas la moindre envie de vous offenser. Si vous voyez la

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quelque chose qui vous blesse, et si vous voulez m’en punir, vous n’avez que faire de vous mettre en colere: en sortant d’ici, je vais me noyer.

Bien que M. Godeau se fut promis de renvoyer Croisilles [5]le plus doucement possible, afin d’eviter tout scandale, sa prudence ne pouvait resister a l’impatience de l’orgueil offense; l’entretien auquel il essayait de se resigner lui paraissait monstrueux en lui-meme; je laisse a penser ce qu’il eprouvait en s’entendant parler de la [10]sorte.

–Ecoute, dit-il presque hors de lui et resolu a en finir a tout prix, tu n’es pas tellement fou que tu ne puisses comprendre un mot de sens commun. Es-tu riche?… Non. Es-tu noble? Encore moins. Qu’est-ce que [15]c’est que la frenesie qui t’amene? Tu viens me tracasser, tu crois faire un coup de tete; tu sais parfaitement bien que c’est inutile; tu veux me rendre responsable de ta mort. As-tu a te plaindre de moi? dois-je un sou a ton pere? est-ce ma faute si tu en es la? Eh, mordieu! on se [20]noie et on se tait.

–C’est ce que je vais faire de ce pas; je suis votre tres humble serviteur.

–Un moment! il ne sera pas dit que tu auras eu en vain recours a moi. Tiens, mon garcon, voila quatre louis [25]d’or; va-t’en diner a la cuisine, et que je n’entende plus parler de toi.

–Bien oblige, je n’ai pas faim, et je n’ai que faire de votre argent!

Croisilles sortit de la chambre, et le financier, ayant [30]mis sa conscience en repos par l’offre qu’il venait de faire se renfonca de plus belle dans sa chaise et reprit ses Meditations.

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Mademoiselle Godeau, pendant ce temps-la, n’etait pas si loin qu’on pouvait le croire; elle s’etait, il est vrai, retiree par obeissance pour son pere; mais, au lieu de regagner sa chambre, elle etait restee a ecouter derriere la [5]porte. Si l’extravagance de Croisilles lui paraissait inconcevable, elle n’y voyait du moins rien d’offensant; car l’amour, depuis que le monde existe, n’a jamais passe pour offense; d’un autre cote, comme il n’etait pas possible de douter du desespoir du jeune homme, mademoiselle [10]Godeau se trouvait prise a la fois par les deux sentiments les plus dangereux aux femmes, la compassion et la curiosite. Lorsqu’elle vit l’entretien termine et Croisilles pret a sortir, elle traversa rapidement le salon ou elle se trouvait, ne voulant pas etre surprise aux aguets, et elle [15]se dirigea vers son appartement; mais presque aussitot elle revint sur ses pas. L’idee que Croisilles allait peut-etre reellement se donner la mort lui troubla le coeur malgre elle. Sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle marcha a sa rencontre; le salon etait vaste, et les deux [20]jeunes gens vinrent lentement au-devant l’un de l’autre. Croisilles etait pale comme la mort, et mademoiselle Godeau cherchait vainement quelque parole qui put exprimer ce qu’elle sentait. En passant a cote de lui, elle laissa tomber a terre un bouquet de violettes qu’elle [25]tenait a la main. Il se baissa aussitot, ramassa le bouquet et le presenta a la jeune fille pour le lui rendre; mais, au lieu de le reprendre, elle continua sa route sans prononcer un mot, et entra dans le cabinet de son pere. Croisilles, reste seul, mit le bouquet dans son sein, et sortit de [30]la maison le coeur agite, ne sachant trop que penser de cette aventure.

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III

A peine avait-il fait quelques pas dans la rue, qu’il vit accourir son fidele Jean, dont le visage exprimait la joie.

–Qu’est-il arrive? lui demanda-t-il; as-tu quelque nouvelle a m’apprendre?

[5]–Monsieur, repondit Jean, j’ai a vous apprendre que les scelles sont leves, et que vous pouvez rentrer chez vous. Toutes les dettes de votre pere payees, vous restez proprietaire de la maison. Il est bien vrai qu’on a emporte tout ce qu’il y avait d’argent et de bijoux, et [10]qu’on a meme enleve les meubles; mais enfin la maison vous appartient, et vous n’avez pas tout perdu. Je cours partout depuis une heure, ne sachant ce que vous etiez devenu, et j’espere, mon cher maitre, que vous serez assez sage pour prendre un parti raisonnable.

[15]–Quel parti veux-tu que je prenne?

–Vendre cette maison, monsieur, c’est toute votre fortune; elle vaut une trentaine de mille francs. Avec cela, du moins, on ne meurt pas de faim; et qui vous empecherait d’acheter un petit fonds de commerce qui ne [20]manquerait pas de prosperer?

–Nous verrons cela, repondit Croisilles, tout en se hatant de prendre le chemin de sa rue. Il lui tardait de revoir le toit paternel; mais, lorsqu’il y fut arrive, un si triste spectacle s’offrit a lui, qu’il eut a peine le courage [25]d’entrer. La boutique en desordre, les chambres desertes, l’alcove de son pere vide, tout presentait a ses regards la nudite de la misere. Il ne restait pas une chaise; tous les tiroirs avaient ete fouilles, le comptoir brise, la caisse emportee; rien n’avait echappe aux recherches avides des [30]creanciers et de la justice, qui, apres avoir pille la maison,

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etaient partis, laissant les portes ouvertes, comme pour temoigner aux passants que leur besogne etait accomplie.

–Voila donc, s’ecria Croisilles, voila donc ce qui reste de trente ans de travail et de la plus honnete existence, [5]faute d’avoir eu a temps, au jour fixe, de quoi faire honneur a une signature imprudemment engagee!

Pendant que le jeune homme se promenait de long en large, livre aux plus tristes pensees, Jean paraissait fort embarrasse. Il supposait que son maitre etait sans argent, [10]et qu’il pouvait meme n’avoir pas dine. Il cherchait donc quelque moyen pour le questionner la-dessus, et pour lui offrir, en cas de besoin, une part de ses economies. Apres s’etre mis l’esprit a la torture pendant un quart d’heure pour imaginer un biais convenable, il ne [15]trouva rien de mieux que de s’approcher de Croisilles, et de lui demander d’une voix attendrie:

–Monsieur aime-t-il toujours les perdrix aux choux?

Le pauvre homme avait prononce ces mots avec un accent a la fois si burlesque et si touchant, que Croisilles, [20]malgre sa tristesse, ne put s’empecher d’en rire.

–Et a propos de quoi cette question? dit-il.

–Monsieur, repondit Jean, c’est que ma femme m’en fait cuire une pour mon diner, et si par hasard vous les aimiez toujours…

[25]Croisilles avait entierement oublie jusqu’a ce moment la somme qu’il rapportait a son pere; la proposition de Jean le fit se ressouvenir que ses poches etaient pleines d’or.

–Je te remercie de tout mon coeur, dit-il au vieillard, et j’accepte avec plaisir ton diner; mais, si tu es inquiet [30]de ma fortune, rassure-toi, j’ai plus d’argent qu’il ne m’en faut pour avoir ce soir un bon souper que tu partageras a ton tour avec moi.

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En parlant ainsi, il posa sur la cheminee quatre bourses bien garnies, qu’il vida, et qui contenaient chacune cinquante louis.

–Quoique cette somme ne m’appartienne pas, ajouta-t-il, [5]je puis en user pour un jour ou deux. A qui faut-ils que je m’adresse pour la faire tenir a mon pere?

–Monsieur, repondit Jean avec empressement, votre pere m’a bien recommande de vous dire que cet argent vous appartenait; et si je ne vous en parlais point, c’est [10]que je ne savais pas de quelle maniere vos affaires de Paris s’etaient terminees. Votre pere ne manquera de rien la-bas; il logera chez un de vos correspondants, qui le recevra de son mieux; il a d’ailleurs emporte ce qu’il lui faut, car il etait bien sur d’en laisser encore de trop, et [15]ce qu’il a, laisse, monsieur, tout ce qu’il a laisse, est a vous, il vous le marque lui-meme dans sa lettre, et je suis expressement charge de vous le repeter. Cet or est donc aussi legitimement votre bien que cette maison ou nous sommes. Je puis vous rapporter les paroles memes que votre [20]pere m’a dites en partant: “Que mon fils me pardonne de le quitter; qu’il se souvienne seulement pour m’aimer que je suis encore en ce monde, et qu’il use de ce qui restera apres mes dettes payees, comme si c’etait mon heritage.” Voila, monsieur, ses propres expressions; ainsi remettez [25]ceci dans votre poche, et puisque vous voulez bien mon diner, allons, je vous prie, a la maison.

La joie et la sincerite qui brillaient dans les yeux de Jean ne laissaient aucun doute a Croisilles. Les paroles de son pere l’avaient emu a tel point qu’il ne put retenir [30]ses larmes; d’autre part, dans un pareil moment, quatre mille francs n’etaient pas une bagatelle. Pour ce qui regardait la maison, ce n’etait point une ressource certaine,

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car on ne pouvait en tirer parti qu’en la vendant, chose longue et difficile. Tout cela cependant ne laissait pas que d’apporter un changement considerable a la situation dans laquelle se trouvait le jeune homme; il se sentit [5]tout a coup attendri, ebranle dans sa funeste resolution, et, pour ainsi dire, a la fois plus triste et moins desole. Apres avoir ferme les volets de la boutique, il sortit de la maison avec Jean, et, en traversant de nouveau la ville, il ne put s’empecher de songer combien c’est peu de chose que nos [10]afflictions, puisqu’elles servent quelquefois a nous faire trouver une joie imprevue dans la plus faible lueur d’esperance. Ce fut avec cette pensee qu’il se mit a table a cote de son vieux serviteur, qui ne manqua point, durant le repas, de faire tous ses efforts pour l’egayer.

[15]Les etourdis ont un heureux defaut: ils se desolent Aisement, mais ils n’ont meme pas le temps de se consoler, tant il leur est facile de se distraire. On se tromperait de les croire insensibles ou egoistes; ils sentent peut-etre plus vivement que d’autres, et ils sont tres capables de se [20]bruler la cervelle dans un moment de desespoir; mais, ce moment passe, s’ils sont encore en vie, il faut qu’ils aillent diner, qu’ils boivent et mangent comme a l’ordinaire, pour fondre ensuite en larmes en se couchant. La joie et la douleur ne glissent pas sur eux; elles les traversent [25]comme des fleches: bonne et violente nature qui sait souffrir, mais qui ne peut pas mentir, dans laquelle on lit tout a nu, non pas fragile et vide comme le verre, mais pleine et transparente comme le cristal de roche.

[30]Apres avoir trinque avec Jean, Croisilles, au lieu de se noyer, s’en alla a la comedie. Debout dans le fond du parterre, il tira de son sein le bouquet de mademoiselle

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Godeau, et, pendant qu’il en respirait le parfum dans un profond recueillement, il commenca a penser d’un esprit plus calme a son aventure du matin. Des qu’il y eut reflechi quelque temps, il vit clairement la verite, c’est-a-dire [5]que la jeune fille, en lui laissant son bouquet entre les mains et en refusant de le reprendre, avait voulu lui donner une marque d’interet; car autrement ce refus et ce silence n’auraient ete qu’une preuve de mepris, et cette supposition n’etait pas possible. Croisilles jugea donc [10]que mademoiselle Godeau avait le coeur moins dur que monsieur son pere, et il n’eut pas de peine a se souvenir que le visage de la demoiselle, lorsqu’elle avait traverse le salon, avait exprime une emotion d’autant plus vraie qu’elle semblait involontaire. Mais cette emotion etait-elle [15]de l’amour ou seulement de la pitie, ou moins encore peut-etre, de l’humanite? Mademoiselle Godeau avait-elle craint de le voir mourir, lui, Croisilles, ou seulement d’etre la cause de la mort d’un homme, quel qu’il fut? Bien que fane et a demi effeuille, le bouquet avait encore [20]une odeur si exquise et une si galante tournure, qu’en le respirant et en le regardant, Croisilles ne put se defendre d’esperer. C’etait une guirlande de roses autour d’une touffe de violettes. Combien de sentiments et de mysteres un Turc aurait lus dans ces fleurs, en interpretant leur [25]langage! Mais il n’y a que faire d’etre turc en pareille circonstance. Les fleurs qui tombent du sein d’une jolie femme, en Europe comme en Orient, ne sont jamais muettes; quand elles ne raconteraient que ce qu’elles ont vu lorsqu’elles reposaient sur une belle gorge, ce serait [30]assez pour un amoureux, et elles le racontent en effet. Les parfums ont plus d’une ressemblance avec l’amour, et il y a meme des gens qui pensent que l’amour n’est qu’une

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sorte de parfum; il est vrai que la fleur qui l’exhale est la plus belle de la creation.

Pendant que Croisilles divaguait ainsi, fort peu attentif a la tragedie qu’on representait pendant ce temps-la, [5]mademoiselle Godeau elle-meme parut dans une loge en face de lui. L’idee ne lui vint pas que, si elle l’apercevait, elle pourrait bien trouver singulier de le voir la apres ce qui venait de se passer. Il fit au contraire tous ses efforts pour se rapprocher d’elle; mais il n’y put parvenir. Une [10]figurante de Paris etait venue en poste jouer Merope, et la foule etait si serree, qu’il n’y avait pas moyen de bouger. Faute de mieux, il se contenta donc de fixer ses regards sur sa belle, et de ne pas la quitter un instant des yeux. Il remarqua qu’elle semblait preoccupee, maussade, et [15]qu’elle ne parlait a personne qu’avec une sorte de repugnance. Sa loge etait entouree, comme on peut penser, de tout ce qu’il y avait de petits-maitres normands dans la ville; chacun venait a son tour passer devant elle a la galerie, car, pour entrer dans la loge meme qu’elle occupait, [20]cela n’etait pas possible, attendu que monsieur son pere en remplissait seul, de sa personne, plus des trois quarts. Croisilles remarqua encore qu’elle ne lorgnait point et qu’elle n’ecoutait pas la piece. Le coude appuye sur la balustrade, le menton dans sa main, le regard distrait, [25]elle avait l’air, au milieu de ses atours, d’une statue de Venus deguisee en marquise; l’etalage de sa robe et de sa coiffure, son rouge, sous lequel on devinait sa paleur, toute la pompe de sa toilette, ne faisaient que mieux ressortir son immobilite. Jamais Croisilles ne l’avait vue [30]si jolie. Ayant trouve moyen, pendant l’entr’acte, de s’echapper de la cohue, il courut regarder au carreau de la loge, et, chose etrange, a peine y eut-il mis la tete, que

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mademoiselle Godeau, qui n’avait pas bouge depuis une heure, se retourna. Elle tressaillit legerement en l’apercevant, et ne jeta sur lui qu’un coup d’oeil; puis elle reprit sa premiere posture. Si ce coup d’oeil exprimait la [5]surprise, l’inquietude, le plaisir de l’amour; s’il voulait dire: “Quoi! vous n’etes pas mort!” ou: “Dieu soit beni! vous voila vivant!” je ne me charge pas de le demeler; toujours est-il que, sur ce coup d’oeil, Croisilles se jura tout bas de mourir ou de se faire aimer.

IV

De tous les obstacles qui nuisent a l’amour, l’un des [10]plus grands est sans contredit ce qu’on appelle la fausse honte, qui en est bien une tres-veritable. Croisilles n’avait pas ce triste defaut que donnent l’orgueil et la timidite; il n’etait pas de ceux qui tournent pendant des mois entiers autour de la femme qu’ils aiment, comme un chat [15]autour d’un oiseau en cage. Des qu’il eut renonce a se noyer, il ne songea plus qu’a faire savoir a sa chere Julie qu’il vivait uniquement pour elle; mais comment le lui dire? S’il se presentait une seconde fois a l’hotel du fermier general, il n’etait pas douteux que M. Godeau ne le fit [20]mettre au moins a la porte. Julie ne sortait jamais qu’avec une femme de chambre, quand il lui arrivait d’aller a pied; il etait donc inutile d’entreprendre de la suivre. Passer les nuits sous les croisees de sa maitresse est une folie chere aux amoureux, mais qui, dans le cas present, etait [25]plus inutile encore. J’ai dit que Croisilles etait fort religieux; il ne lui vint donc pas a l’esprit de chercher a rencontrer sa belle a l’eglise. Comme le meilleur parti, quoique le plus dangereux, est d’ecrire aux gens lorsqu’on

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ne peut leur parler soi-meme, il ecrivit des le lendemain. Sa lettre n’avait, bien entendu, ni ordre ni raison. Elle etait a peu pres concue en ces termes:

“Mademoiselle,

[5]”Dites-moi au juste, je vous en supplie, ce qu’il faudrait posseder de fortune pour pouvoir pretendre a vous epouser. Je vous fais la une etrange question; mais je vous aime si eperdument qu’il m’est impossible de ne pas la faire, et vous etes la seule personne au monde a qui je puisse [10]l’adresser. Il m’a semble, hier au soir, que vous me regardiez au spectacle. Je voulais mourir; plut a Dieu que je fusse mort, en effet, si je me trompe et si ce regard n’etait pas pour moi! Dites-moi si le hasard peut etre assez cruel pour qu’un homme s’abuse d’une maniere a la [15]fois si triste et si douce? J’ai cru que vous m’ordonniez de vivre. Vous etes riche, belle, je le sais; votre pere est orgueilleux et avare, et vous avez le droit d’etre fiere; mais je vous aime, et le reste est un songe. Fixez sur moi ces yeux charmants, pensez a ce que peut l’amour, puisque [20]je souffre, que j’ai tout lieu de craindre, et que je ressens une inexprimable jouissance a vous ecrire cette folle lettre qui m’attirera peut-etre votre colere; mais pensez aussi, mademoiselle, qu’il y a un peu de votre faute dans cette folie. Pourquoi m’avez-vous laisse ce bouquet? [25]Mettez-vous un instant, s’il se peut, a ma place; j’ose croire que vous m’aimez, et j’ose vous demander de me le dire. Pardonnez-moi, je vous en conjure. Je donnerais mon sang pour etre certain de ne pas vous offenser, et pour vous voir ecouter mon amour avec ce sourire d’ange qui [30]n’appartient qu’a vous. Quoi que vous fassiez, votre image m’est restee; vous ne l’effacerez qu’en m’arrachant

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le coeur. Tant que votre regard vivra dans mon souvenir, tant que ce bouquet gardera un reste de parfum, tant qu’un mot voudra dire qu’on aime, je conserverai quelque esperance.”

[5]Apres avoir cachete sa lettre, Croisilles s’en alla devant l’hotel Godeau, et se promena de long en large dans la rue, jusqu’a ce qu’il vit sortir un domestique. Le hasard, qui sert toujours les amoureux en cachette, quand il le peut sans se compromettre, voulut que la femme de chambre [10]de mademoiselle Julie etait resolu ce jour-la de faire emplette d’un bonnet. Elle se rendait chez la marchande de modes, lorsque Croisilles l’aborda, lui glissa un louis dans la main, et la pria de se charger de sa lettre. Le marche fut bientot conclu; la servante prit l’argent pour payer son [15]bonnet, et promit de faire la commission par reconnaissance. Croisilles, plein de joie, revint a sa maison et s’assit devant sa porte, attendant la reponse.

Avant de parler de cette reponse, il faut dire un mot de mademoiselle Godeau. Elle n’etait pas tout a fait exempte [20]de la vanite de son pere, mais son bon naturel y remediait. Elle etait, dans la force du terme, ce qu’on nomme un enfant gate. D’habitude elle parlait fort peu, et jamais on ne la voyait tenir une aiguille; elle passait les journees a sa toilette, et les soirees sur un sofa, n’ayant pas l’air [25]d’entendre la conversation. Pour ce qui regardait sa parure, elle etait prodigieusement coquette, et son propre visage etait a coup sur ce qu’elle avait le plus considere en ce monde. Un pli a sa collerette, une tache d’encre a son doigt, l’auraient desolee; aussi, quand sa robe lui plaisait, [30]rien ne saurait rendre le dernier regard qu’elle jetait sur sa glace avant de quitter sa chambre. Elle ne montrait ni gout ni aversion pour les plaisirs qu’aiment ordinairement

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les jeunes filles; elle allait volontiers au bal, et elle y renoncait sans humeur, quelquefois sans motif; le spectacle l’ennuyait, et elle s’y endormait continuellement. Quand son pere, qui l’adorait, lui proposait de lui [5]faire quelque cadeau a son choix, elle etait une heure a se decider, ne pouvant se trouver un desir. Quand M. Godeau recevait ou donnait a diner, il arrivait que Julie ne paraissait pas au salon: elle passait la soiree, pendant ce temps-la, seule dans sa chambre, en grande toilette, a [10]se promener de long en large, son eventail a la main. Si on lui adressait un compliment, elle detournait la tete, et si on tentait de lui faire la cour, elle ne repondait que par un regard a la fois si brillant et si serieux, qu’elle deconcertait le plus hardi. Jamais un bon mot ne l’avait fait [15]rire; jamais un air d’opera, une tirade de tragedie, ne l’avaient emue; jamais, enfin, son coeur n’avait donne signe de vie, et, en la voyant passer dans tout l’eclat de sa nonchalante beaute, on aurait pu la prendre pour une belle somnambule qui traversait ce monde en revant.

[20]Tant d’indifference et de coquetterie ne semblait pas aise a comprendre. Les uns disaient qu’elle n’aimait rien; les autres, qu’elle n’aimait qu’elle-meme. Un seul mot suffisait cependant pour expliquer son caractere: elle attendait. Depuis l’age de quatorze ans, elle avait entendu [25]repeter sans cesse que rien n’etait aussi charmant qu’elle; elle en etait persuadee; c’est pourquoi elle prenait grand soin de sa parure: en manquant de respect a sa personne, elle aurait cru commettre un sacrilege. Elle marchait, pour ainsi dire, dans sa beaute, comme un enfant dans ses [30]habits de fete; mais elle etait bien loin de croire que cette beaute dut rester inutile; sous son apparente insouciance se cachait une volonte secrete, inflexible, et d’autant plus

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forte qu’elle etait mieux dissimulee. La coquetterie des femmes ordinaires, qui se depense en oeillades, en minauderies et en sourires, lui semblait une escarmouche puerile, vaine, presque meprisable. Elle se sentait en possession [5]d’un tresor, et elle dedaignait de le hasarder au jeu piece a piece: il lui fallait un adversaire digne d’elle; mais, trop habituee a voir ses desirs prevenus, elle ne cherchait pas cet adversaire; on peut meme dire davantage, elle etait etonnee qu’il se fit attendre. Depuis quatre ou cinq ans [10]qu’elle allait dans le monde et qu’elle etalait consciencieusement ses paniers, ses falbalas et ses belles epaules, il lui paraissait inconcevable qu’elle n’eut point encore inspire une grande passion. Si elle eut dit le fond de sa pensee, elle eut volontiers repondu a ceux qui lui faisaient des [15]compliments: “Eh bien! s’il est vrai que je sois si belle, que ne vous brulez-vous la cervelle pour moi?” Reponse que, du reste, pourraient faire bien des jeunes filles, et que plus d’une, qui ne dit rien, a au fond du coeur, quelquefois sur le bord des levres.

[20]Qu’y a-t-il, en effet, au monde, de plus impatientant pour une femme que d’etre jeune, belle, riche, de se regarder dans son miroir, de se voir paree, digne en tout point de plaire, toute disposee a se laisser aimer, et de se dire: On m’admire, on me vante, tout le monde me trouve [25]charmante, et personne ne m’aime. Ma robe est de la meilleure faiseuse, mes dentelles sont superbes, ma coiffure est irreprochable, mon visage le plus beau de la terre, ma taille fine, mon pied bien chausse; et tout cela ne me sert a rien qu’a aller bailler dans le coin d’un salon! Si un [30]jeune homme me parle, il me traite en enfant; si on me demande en mariage, c’est pour ma dot; si quelqu’un me serre la main en dansant, c’est un fat de province; des que

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je parais quelque part, j’excite un murmure d’admiration, mais personne ne me dit, a moi seule, un mot qui me fasse battre le coeur. J’entends des impertinents qui me louent tout haut, a deux pas de moi, et pas un regard modeste et [5]sincere ne cherche le mien. Je porte une ame ardente, pleine de vie, et je ne suis, a tout prendre, qu’une jolie poupee qu’on promene, qu’on fait sauter au bal, qu’une gouvernante habille le matin et decoiffe le soir, pour recommencer le lendemain.

[10]Voila ce que mademoiselle Godeau s’etait dit bien des fois a elle-meme, et il y avait de certains jours ou cette pensee lui inspirait un si sombre ennui, qu’elle restait muette et presque immobile une journee entiere. Lorsque Croisilles lui ecrivit, elle etait precisement dans un acces [15]d’humeur semblable. Elle venait de prendre son chocolat, et elle revait profondement, etendue dans une bergere, lorsque sa femme de chambre entra et lui remit la lettre d’un air mysterieux. Elle regarda l’adresse, et, ne reconnaissant pas l’ecriture, elle retomba dans sa [20]distraction. La femme de chambre se vit alors forcee d’expliquer de quoi il s’agissait, ce qu’elle fit d’un air assez deconcerte, ne sachant trop comment la jeune fille prendrait cette demarche. Mademoiselle Godeau ecouta sans bouger, ouvrit ensuite la lettre, et y jeta seulement [25]un coup d’oeil elle demanda aussitot une feuille de papier, et ecrivit nonchalamment ce peu de mots:

“Eh, mon Dieu! non, monsieur, je ne suis pas fiere. Si vous aviez seulement cent mille ecus, je vous epouserais tres-volontiers.”

[30]Telle fut la reponse que la femme de chambre rapporta sur-le-champ a Croisilles, qui lui donna encore un louis pour sa peine.

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V

Cent mille ecus, comme dit le proverbe, ne se trouvent pas dans le pas d’un ane; et si Croisilles eut ete defiant, il eut pu croire, en lisant la lettre de mademoiselle Godeau, qu’elle etait folle ou qu’elle se moquait de lui. Il ne pensa [5]pourtant ni l’un ni l’autre; il ne vit rien autre chose, sinon que sa chere Julie l’aimait, qu’il lui fallait cent mille ecus, et il ne songea, des ce moment, qu’a tacher de se les procurer.

Il possedait deux cents louis comptant, plus une maison [10]qui, comme je l’ai dit, pouvait valoir une trentaine de mille francs. Que faire? Comment s’y prendre pour que ces trente-quatre mille francs en devinssent tout a coup trois cent mille? La premiere idee qui vint a l’esprit du jeune homme fut de trouver une maniere quelconque de [15]jouer a croix ou pile toute sa fortune; mais, pour cela, il fallait vendre la maison. Croisilles commenca donc par coller sur sa porte un ecriteau portant que sa maison etait a vendre; puis, tout en revant a ce qu’il ferait de l’argent qu’il pourrait en tirer, il attendit un acheteur.

[20]Une semaine s’ecoula, puis une autre; pas un acheteur ne se presenta. Croisilles passait ses journees a se desoler avec Jean, et le desespoir s’emparait de lui, lorsqu’un brocanteur juif sonna a sa porte.

–Cette maison est a vendre, monsieur. En etes-vous [25]le proprietaire?

–Oui, monsieur.

–Et combien vaut-elle?

–Trente mille francs, a ce que je crois; du moins je l’ai entendu dire a mon pere.

[30]Le juif visita toutes les chambres, monta au premier,

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descendit a la cave, frappa sur les murailles, compta les marches de l’escalier, fit tourner les portes sur leurs gonds et les clefs dans les serrures, ouvrit et ferma les fenetres; puis enfin, apres avoir tout bien examine, sans dire un mot [5]et sans faire la moindre proposition, il salua Croisilles et se retira.

Croisilles, qui, durant une heure, l’avait suivi le coeur palpitant, ne fut pas, comme on pense, peu desappointe de cette retraite silencieuse. Il supposa que le juif avait [10]voulu se donner le temps de reflechir, et qu’il reviendrait incessamment. Il l’attendit pendant huit jours, n’osant sortir de peur de manquer sa visite, et regardant a la fenetre du matin au soir; mais ce fut en vain: le juif ne reparut point. Jean, fidele a son triste role de raisonneur, [15]faisait, comme on dit, de la morale a son maitre, pour le dissuader de vendre sa maison d’une maniere si precipitee et dans un but si extravagant. Mourant d’impatience, d’ennui et d’amour, Croisilles prit un matin ses deux cents louis et sortit, resolu a tenter la fortune avec cette somme, [20]puisqu’il n’en pouvait avoir davantage.

Les tripots, dans ce temps-la, n’etaient pas publics, et l’on n’avait pas encore invente ce raffinement de civilisation qui permet au premier venu de se ruiner a toute heure, des que l’envie lui en passe par la tete. A peine Croisilles [25]fut-il dans la rue qu’il s’arreta, ne sachant ou aller risquer son argent. Il regardait les maisons du voisinage, et les toisait les unes apres les autres, tachant de leur trouver une apparence suspecte et de deviner ce qu’il cherchait. Un jeune homme de bonne mine, vetu d’un habit magnifique, [30]vint a passer. A en juger par les dehors, ce ne pouvait etre qu’un fils de famille. Croisilles l’aborda Poliment.

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–Monsieur, lui dit-il, je vous demande pardon de la liberte que je prends. J’ai deux cents louis dans ma poche et je meurs d’envie de les perdre ou d’en avoir davantage. Ne pourriez-vous pas m’indiquer quelque honnete endroit [5]ou se font ces sortes de choses?

A ce discours assez etrange, le jeune homme partit d’un eclat de rire.

–Ma foi! monsieur, repondit-il, si vous cherchez un mauvais lieu, vous n’avez qu’a me suivre, car j’y vais. [10]Croisilles le suivit, et au bout de quelques pas ils entrerent tous deux dans une maison de la plus belle apparence, ou ils furent recus le mieux du monde par un vieux gentilhomme de fort bonne compagnie. Plusieurs jeunes gens etaient deja assis autour d’un tapis vert: Croisilles y prit [15]modestement une place, et en moins d’une heure ses deux cents louis furent perdus.

Il sortit aussi triste que peut l’etre un amoureux qui se croit aime. Il ne lui restait pas de quoi diner, mais ce n’etait pas ce qui l’inquietait.

[20]–Comment ferai-je a present, se demanda-t-il, pour me procurer de l’argent? A qui m’adresser dans cette ville? Qui voudra me preter seulement cent louis sur cette maison que je ne puis vendre?

Pendant qu’il etait dans cet embarras, il rencontra son [25]brocanteur juif. Il n’hesita pas a s’adresser a lui, et, en sa qualite d’etourdi, il ne manqua pas de lui dire dans quelle situation il se trouvait. Le juif n’avait pas grande envie d’acheter la maison; il n’etait venu la voir que par curiosite, ou, pour mieux dire, par acquit de conscience, [30]comme un chien entre en passant dans une cuisine dont la porte est ouverte, pour voir s’il n’y a rien a voler; mais il vit Croisilles si desespere, si triste, si denue de toute

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ressource, qu’il ne put resister a la tentation de profiter de sa misere, au risque de se gener un peu pour payer la maison. Il lui en offrit donc a peu pres le quart de ce qu’elle: valait. Croisilles lui sauta au cou, l’appela son ami et son [5]sauveur, signa aveuglement un marche a faire dresser les cheveux sur la tete, et, des le lendemain, possesseur de quatre cents nouveaux louis, il se dirigea derechef vers le tripot ou il avait ete si poliment et si lestement ruine la veille. En s’y rendant, il passa sur le port. Un vaisseau allait [10]en sortir; le vent etait doux, l’Ocean tranquille. De toutes parts, des negociants, des matelots, des officiers de marine en uniforme, allaient et venaient. Des crocheteurs transportaient d’enormes ballots pleins de marchandises. Les passagers faisaient leurs adieux; de legeres [15]barques flottaient de tous cotes; sur tous les visages on lisait la crainte, l’impatience ou l’esperance; et, au milieu de l’agitation qui l’entourait, le majestueux navire se balancait doucement, gonflant ses voiles orgueilleuses.

–Quelle admirable chose, pensa Croisilles, que de [20]risquer ainsi ce qu’on possede, et d’aller chercher au dela des mers une perilleuse fortune! Quelle emotion de regarder partir ce vaisseau charge de tant de richesses, du bien-etre de tant de familles! Quelle joie de le voir revenir, rapportant le double de ce qu’on lui a confie, rentrant [25]plus fier et plus riche qu’il n’etait parti! Que ne suis-je un de ces marchands! Que ne puis-je jouer ainsi mes quatre cents louis! Quel tapis vert que cette mer immense, pour y tenter hardiment le hasard! Pourquoi n’acheterais-je pas quelques ballots de toiles ou de [30]soieries? qui m’en empeche, puisque j’ai de l’or? Pourquoi ce capitaine refuserait-il de se charger de mes marchandises? Et qui sait? au lieu d’aller perdre cette pauvre et

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unique somme dans un tripot, je la doublerais, je la triplerais peut-etre par une honnete industrie. Si Julie m’aime veritablement, elle attendra quelques annees, et elle me restera fidele jusqu’a ce que je puisse l’epouser. Le commerce [5]procure quelquefois des benefices plus gros qu’on ne pense; il ne manque pas d’exemples, en ce monde, de fortunes rapides, surprenantes, gagnees ainsi sur ces flots changeants; pourquoi la Providence ne benirait-elle pas une tentative faite dans un but si louable, si digne de sa [10]protection? Parmi ces marchands qui ont tant amasse et qui envoient des navires aux deux bouts de la terre, plus d’un a commence par une moindre somme que celle que j’ai la. Ils ont prospere avec l’aide de Dieu; pourquoi ne pourrais-je pas prosperer a mon tour? Il me semble qu’un [15]bon vent souffle dans ces voiles, et que ce vaisseau inspire la confiance. Allons! le sort en est jete, je vais m’adresser a ce capitaine qui me parait aussi de bonne mine, j’ecrirai ensuite a Julie, et je veux devenir un habile negociant.

Le plus grand danger que courent les gens qui sont [20]habituellement un peu fous, c’est de le devenir tout a fait par instants. Le pauvre garcon, sans reflechir davantage, mit son caprice a execution. Trouver des marchandises a acheter lorsqu’on a de l’argent et qu’on ne s’y connait pas, c’est la chose du monde la moins difficile. [25]Le capitaine, pour obliger Croisilles, le mena chez un fabricant de ses amis qui lui vendit autant de toiles et de soieries qu’il put en payer; le tout, mis dans une charrette, fut promptement transporte a bord. Croisilles, ravi et plein d’esperance, avait ecrit lui-meme en grosses lettres [30]son nom sur ses ballots. Il les regarda s’embarquer avec une joie inexprimable; l’heure du depart arriva bientot, et le navire s’eloigna de la cote.

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VI

Je n’ai pas besoin de dire que, dans cette affaire, Croisilles n’avait rien garde. D’un autre cote, sa maison etait vendue; il ne lui restait pour tout bien que les habits qu’il avait sur le corps; point de gite, et pas un denier. Avec [5]toute la bonne volonte possible, Jean ne pouvait supposer que son maitre fut reduit a un tel denument; Croisilles etait, non pas trop fier, mais trop insouciant pour le dire; il prit le parti de coucher a la belle etoile, et, quant aux repas, voici le calcul qu’il fit: il presumait que le vaisseau [10]qui portait sa fortune mettrait six mois a revenir au Havre; il vendit, non sans regret, une montre d’or que son pere lui avait donnee, et qu’il avait heureusement gardee; il en eut trente-six livres. C’etait de quoi vivre a peu pres six mois avec quatre sous par jour. Il ne douta pas que [15]ce ne fut assez, et, rassure par le present, il ecrivit a mademoiselle Godeau pour l’informer de ce qu’il avait fait; il se garda bien, dans sa lettre, de lui parler de sa detresse; il lui annonca, au contraire, qu’il avait entrepris une operation de commerce magnifique, dont les resultats etaient [20]prochains et infaillibles; il lui expliqua comme quoi la Fleurette, vaisseau a fret de cent cinquante tonneaux, portait dans la Baltique ses toiles et ses soieries; il la supplia de lui rester fidele pendant un an, se reservant de lui en demander davantage ensuite, et, pour sa part, il lui jura [25]un eternel amour.

Lorsque mademoiselle Godeau recut cette lettre, elle etait au coin de son feu, et elle tenait a la main, en guise d’ecran, un de ces bulletins qu’on imprime dans les ports, qui marquent l’entree et la sortie des navires, et en meme [30]temps annoncent les desastres. Il ne lui etait jamais.

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arrive, comme on peut penser, de prendre interet a ces sortes de choses, et elle n’avait jamais jete les yeux sur une seule de ces feuilles. La lettre de Croisilles fut cause qu’elle lut le bulletin qu’elle tenait; le premier mot qui [5]frappa ses yeux fut precisement le nom de la Fleurette; le navire avait echoue sur les cotes de France dans la nuit meme qui avait suivi son depart. L’equipage s’etait sauve a grand’peine, mais toutes les marchandises avaient ete perdues.

[10]Mademoiselle Godeau, a cette nouvelle, ne se souvint plus que Croisilles avait fait devant elle l’aveu de sa pauvrete; elle en fut aussi desolee que s’il se fut agi d’un million; en un instant, l’horreur d’une tempete, les vents en furie, les cris des noyes, la ruine d’un homme qui [15]l’aimait, toute une scene de roman, se presenterent a sa pensee; le bulletin et la lettre lui tomberent des mains; elle se leva dans un trouble extreme, et, le sein palpitant, les yeux prets a pleurer, elle se promena a grands pas, resolue a agir dans cette occasion, et se demandant [20]ce qu’elle devait faire.

Il y a une justice a rendre a l’amour, c’est que plus les motifs qui le combattent sont forts, clairs, simples, irrecusables, en un mot, moins il a le sens commun, plus la passion s’irrite, et plus on aime; c’est une belle chose sous [25]le ciel que cette deraison du coeur; nous ne vaudrions pas grand’chose sans elle. Apres s’etre promenee dans sa chambre, sans oublier ni son cher eventail, ni le coup d’oeil a la glace en passant, Julie se laissa retomber dans sa bergere. Qui l’eut pu voir en ce moment eut joui d’un [30]beau spectacle: ses yeux etincelaient, ses joues etaient en feu; elle poussa un long soupir et murmura avec une joie et une douleur delicieuses:

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–Pauvre garcon! il s’est ruine pour moi!

Independamment de la fortune qu’elle devait attendre de son pere, mademoiselle Godeau avait, a elle appartenant, le bien que sa mere lui avait laisse. Elle n’y avait [5]jamais songe; en ce moment, pour la premiere fois de sa vie, elle se souvint qu’elle pouvait disposer de cinq cent mille francs. Cette pensee la fit sourire; un projet bizarre, hardi, tout feminin, presque aussi fou que Croisilles lui-meme, lui traversa l’esprit; elle berca quelque temps son [10]idee dans sa tete, puis se decida a l’executer.

Elle commenca par s’enquerir si Croisilles n’avait pas quelque parent ou quelque ami; la femme de chambre fut mise en campagne. Tout bien examine, on decouvrit, au quatrieme etage d’une vieille maison, une tante a demi [15]percluse, qui ne bougeait jamais de son fauteuil, et qui n’etait pas sortie depuis quatre ou cinq ans. Cette pauvre femme, fort agee, semblait avoir ete mise ou plutot laissee au monde comme un echantillon des miseres humaines. Aveugle, goutteuse, presque sourde, elle vivait seule dans [20]un grenier; mais une gaiete plus forte que le malheur et la maladie la soutenait a quatre-vingts ans et lui faisait encore aimer la vie; ses voisins ne passaient jamais devant sa porte sans entrer chez elle, et les airs surannes qu’elle fredonnait egayaient toutes les filles du quartier. Elle [25]possedait une petite rente viagere qui suffisait a l’entretenir; tant que durait le jour, elle tricotait; pour le reste, elle ne savait pas ce qui s’etait passe depuis la mort de Louis XIV.

Ce fut chez cette respectable personne que Julie se fit [30]conduire en secret. Elle se mit pour cela dans tous ses atours; plumes, dentelles, rubans, diamants, rien ne fut epargne: elle voulait seduire; mais sa vraie beaute en cette

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circonstance fut le caprice qui l’entrainait. Elle monta l’escalier raide et obscur qui menait chez la bonne dame,.. et, apres le salut le plus gracieux, elle parla a peu pres ainsi:

[5]–Vous avez, madame, un neveu nomme Croisilles, qui m’aime et qui a demande ma main; je l’aime aussi et voudrais l’epouser; mais mon pere, M. Godeau, fermier general de cette ville, refuse de nous marier, parce que votre neveu n’est pas riche. Je ne voudrais pour rien au [10]monde etre l’occasion d’un scandale, ni causer de la peine a personne; je ne saurais donc avoir la pensee de disposer de moi sans le consentement de ma famille. Je viens vous demander une grace que je vous supplie de m’accorder; il faudrait que vous vinssiez vous-meme proposer ce mariage [15]a mon pere. J’ai, grace a Dieu, une petite fortune qui est toute a votre service; vous prendrez, quand il vous plaira, cinq cent mille francs chez mon notaire, vous direz que cette somme appartient a votre neveu, et elle lui appartient en effet; ce n’est point un present que je veux lui faire, [20]c’est une dette que je lui paye, car je suis cause de la ruine de Croisilles, et il est juste que je la repare. Mon pere ne cedera pas aisement; il faudra que vous insistiez et que vous ayez un peu de courage; je n’en manquerai pas de mon cote. Comme personne au monde, excepte moi, n’a [25]de droit sur la somme dont je vous parle, personne ne saura jamais de quelle maniere elle aura passe entre vos mains. Vous n’etes pas tres riche non plus, je le sais, et vous pouvez craindre qu’on ne s’etonne de vous voir doter ainsi votre neveu; mais songez que mon pere ne vous [30]connait pas, que vous vous montrez fort peu par la ville, et que par consequent il vous sera facile de feindre que vous arrivez de quelque voyage. Cette demarche vous

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coutera sans doute, il faudra quitter votre fauteuil et prendre un peu de peine; mais vous ferez deux heureux, madame, et, si vous avez jamais connu l’amour; j’espere que vous ne me refuserez pas.

[5]La bonne dame, pendant ce discours, avait ete tour a tour surprise, inquiete, attendrie et charmee. Le dernier mot la persuada.

–Oui, mon enfant, repeta-t-elle plusieurs fois, je sais ce que c’est, je sais ce que c’est!

[10]En parlant ainsi, elle fit un effort pour se lever; ses jambes affaiblies la soutenaient a peine; Julie s’avanca rapidement, et lui tendit la main pour l’aider; par un mouvement presque involontaire, elles se trouverent en un instant dans les bras l’une de l’autre. Le traite fut [15]aussitot conclu; un cordial baiser le scella d’avance, et toutes les confidences necessaires s’ensuivirent sans peine.

Toutes les explications etant faites, la bonne dame tira de son armoire une venerable robe de taffetas qui avait ete sa robe de noce. Ce meuble antique n’avait pas moins [20]de cinquante ans, mais pas une tache, pas un grain de poussiere ne l’avait deflore; Julie en fut dans l’admiration. On envoya chercher un carrosse de louage, le plus beau qui fut dans toute la ville. La bonne dame prepara le discours qu’elle devait tenir a M. Godeau; Julie lui apprit de quelle [25]facon il fallait toucher le coeur de son pere, et n’hesita pas a avouer que la vanite etait son cote vulnerable.

–Si vous pouviez imaginer, dit-elle, un moyen de flatter ce penchant, nous aurions partie gagnee.

La bonne dame reflechit profondement, acheva sa [30]toilette sans mot dire, serra la main de sa future niece, et monta en voiture. Elle arriva bientot a l’hotel Godeau; la, elle se redressa si bien en entrant, qu’elle semblait

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rajeunie de dix ans. Elle traversa majestueusement le salon ou etait tombe le bouquet de Julie, et, quand la porte du boudoir s’ouvrit, elle dit d’une voix ferme au laquais qui la precedait:

[5]–Annoncez la baronne douairiere de Croisilles. Ce mot decida du bonheur des deux amants; M. Godeau en fut ebloui. Bien que les cinq cent mille francs lui semblassent peu de chose, il consentit a tout pour faire de sa fille une baronne, et elle le fut; qui eut ose lui en contester le titre? A mon avis, elle l’avait bien gagne.

FIN

NOTES

The figures enclosed in bold tags (…) refer to the pages; the ordinary figures refer to the lines.

PROSPER MERIMEE

Paris, 1803-Cannes, 1870

Merimee was at first identified with the Romantic movement, but his hatred of exaggeration and his cynicism caused him to turn to a simpler manner. His clear, concise narrative style and his objective manner of treatment, combined with a grasp of human character, pathos, delicate analysis, satire and an ability to portray local color and to omit non-essentials may be said to be his chief characteristics. His test work is seen in the short stories and in the _nouvelles_.

Important works (the dates refer to the year of publication): _Theatre de Clara Gazul_ (1825), _La Jacquerie_ (1828), _Chronique du Regne de Charles IX_ (1829), _Nouvelles_ (including: _Tamango, Colomba, Venus d’Ille_, and other shorter stories; from 1830 to 1841), _Carmen_ (1847), _Lokis_ (1869), _Dernieres Nouvelles_ (1873); besides works on travel, history, archeology, literature and translations (especially from the Russian). _L’Enlevement de la Redoute_ was written in 1829 (for _La Revue Francaise_) and _Le Coup de Pistolet_ in 1856 (for _Le Moniteur_). Edition: Calmann Levy.

Criticism: Advanced students should consult Lanson, _Histoire de la litterature francaise_ (Hachette, Paris); others may consult Wright’s _History of French Literature_ (Oxford Press). Bibliographies may be found in both of these works, further details can be found in the special bibliographies published by Lanson and by Thieme.

L’ENLEVEMENT DE LA REDOUTE

1.–1. un militaire de mes amis. Compare _un de mes amis_, a friend of mine; _un mien ami_ also occurs in popular style. Merimee refers to Henri Beyle (Stendhal), French novelist and soldier under Napoleon, by whom this story was related to him (1783-1843).

8. apres avoir lu. Note the use of the perfect infinitive, not the present, after _apres_.

9. general B * * *. General Berthier, Major-General of Napoleon’s army which invaded Russia; he became Prince and Marshal of France (1753-1815).–il changea de manieres. _De_ is used after _changer_ when the object is changed for another of the same kind (if the object is preceded by a modifier, such as a possessive pronoun, _changer_ alone is used).

15. sa croix. The cross of the Legion of Honor; the cross is not usually worn, but in its stead a small bow of ribbon.

21. ecole de Fontainebleau. The reference is not to the present military school (artillery and engineers) at Fontainebleau, which was founded in 1871, but to the school which was moved from there to Saint-Cyr in 1806, and which corresponds to the school at West Point in the United States.

2.–5. Cheverino. “Le 5 septembre un combat se livra pour la possession d’une redoute russe sur le tertre de Chevardino, et fit perdre aux Francais 4 ou 5000 hommes, aux Russes 7 ou 8000. Il annoncait du moins que les Russes avaient pris position et se disposaient, pour sauver leur capitale, a livrer bataille.” Lavisse et Rambaud, _Histoire generale du IVe siecle a nos jours_, vol. IX, p. 787. The battle of Borodino, known also as the battle of the Moscova, was fought two days later, September 7, 1812, and Napoleon arrived at Moscow on September 14. On account of the other references in the text to Napoleon the following note may be found convenient.–Born in Corsica in 1769, he first distinguished himself by driving the English from Toulon (1793). He became General-in-Chief of the Army of Italy, and won the celebrated battles of Arcola (1796), Rivoli (1797), etc.; became First Consul in 1799 and Emperor in 1804; victor in the battles of Austerlitz (1805), Iena (1806), Eylau (1807), Friedland (1807), Wagram (1809), he became the ruler of western Europe. He led the Grande-Armee into Russia in 1812-1813, and never recovered from this disastrous campaign. Europe rose against him; he was deposed in 1814 and sent to the Island of Elba, whence he escaped to France in 1815 and ruled, during the Hundred Days, until he was finally defeated at Waterloo, June 18, 1815. Banished to Saint Helena, he died there in 1821.

12. aupres duquel. _Aupres de_ expresses a relation nearer than that expressed by _pres de_.

14. il en coutera bon. _En_ is often added to _couter_ when the latter is used impersonally.

3.–5. la fatigue l’avait emporte. In this idiom the pronoun refers to an unexpressed noun (_prix, choix_, etc.).

25. aussitot que l’ordre…eut ete donne. The past anterior is a literary tense; it is used to express completed action after certain temporal conjunctions and _a peine…que_, also with _encore, plus tot, sitot_, when they are negative and followed by _que_ and when the period of time is mentioned (_il eut bientot fait son devoir_); in all these cases the pluperfect is used if the action is repeated. The past anterior is not used in conversation.

30. eprouvasse. The imperfect subjunctive is a literary tense and is to be avoided in conversation; it may be so avoided by using the present subjunctive and thus violating the rule for the sequence of tenses or by using a circumlocution (particularly obnoxious to a Frenchman’s ear are all the forms of this tense in the first conjugation, except the third person singular).

4. -4. madame de B * * *. Possibly Merimee was thinking cf his friend Madame la comtesse de Beaulaincourt, with whom he corresponded. The _Revue des Deux Mondes_ (August 15, 1879) published a collection of eleven letters written to her by Merimee (see also Filon, _Merimee et ses Amis_, 2e ed., Paris, 1909). More probably he refers to Madame de Boigne, who lived in the street mentioned; he used to read his stories in her Salon.

7. en voir de grises. For the use of a feminine adjective referring to no expressed noun compare: _j’ai echappe belle_, I had a narrow escape; _il se remit a courir de plus belle_, he began to run harder than ever, etc. The feminine adjective in such phrases cannot always be explained by saying that _maniere, occasion, chose_, etc., have been omitted. Similar phrases occur in Italian, Spanish, Old French and Romanian. Meyer-Luebke, _Grammaire des langues romanes_, vol. III, Sec. 88, suggests _res, causa_, or a similar substantive as omitted in the primitive Latin construction. In certain French phrases the reference seems to be to _balle_, an expression borrowed from play–_donner la balle belle_, then _la donner_ (or _bailler_) _belle a quelqu’un_, to impose on anyone.

30. ajouta-t-il. The letter _t_ which occurs in such interrogative forms is not introduced for the sake of euphony, nor is it a survival of the Latin _t_ of the third person. It arose by analogy with such forms as _est-il, sont-ils, donnent-ils_, where the letter forms a part of the verb.

6.–7. au travers de. _Au travers_ should always be followed by _de_, _a travers_ should never be followed by _de_; the meaning is the same in each case.

18. que je l’entendis prononcer. Although the second verb has an object, the object of entendre need not be in the indirect form; with _faire_ in this construction the object of _faire_ must be Indirect.

7.–1. je n’ai presque plus. Notice that _presque_ is placed between _plus_ (_pas, rien_, etc.) and the verb.

26. le general C * * * va vous faire soutenir. _Vous_ is the object of soutenir, but in this construction the pronoun object of the second verb is regularly placed in front of _faire_. General Compans was in command of two regiments at the assault of the Redoubt, he was one of Napoleon’s distinguished generals; he was made a prisoner at Waterloo and afterwards became a peer when the Bourbons were restored (1767-1845).

LE COUP DE PISTOLET

8.–19. je ne sais quel. Note the omission of _pas_ in this phrase which stands for _quelque_; note also the omission of _pas_ after _savait_ in the next sentence (see also note to p. 201, 1. 13).

9.–18. personne… n’eut fait. The imperfect and the pluperfect subjunctive sometimes occur in conditional sentences contrary to fact, but only in literary style.

22. lui demandait-on s’il s’etait battu, il repondait… que oui. _Si_ is avoided in the first clause by means of inversion, otherwise two successive clauses introduced by _si_ would occur; _que_ is used before _oui_ because _oui_ substitutes a clause (_il s’etait battu_); notice that no elision occurs before _oui_.

31. tous. When _tous_ is used without a following noun, _s_ is Pronounced.

12.–14. celui-la. The meaning here is “sldquo;still another” or “aldquo;a third.”

25. precipitamment. This is not an exception to the rule that _-ment_ is added to the feminine form of the adjective to form the adverb; adjectives having only two terminations in Latin, that is, those that had the same form for the masculine and feminine (_grandis_, etc.) had the same form for both the masculine and feminine in Old French; _precipitant_ is both masculine and feminine in Old French and becomes with the addition of _-ment precipitamment_ by assimilation (see also note to p.87, l. 17).

13.–4. il la fit partager a toute la compagnie. _Compagnie_ is the direct object of _fit_.

14.–1. R… Merimee uses both this form of abbreviation and the form which occurs on p. 1, l .9 (cf. also p. 17, l. 26). 16.–7. de n’avoir pas. _Pas_ is usually placed before the infinitive.

18.–12. depit… des pires. Merimee tries to reproduce a Russian pun by means of a play on these words. He gives the following note: “Il y a, dans le russe un jeu de mots impossible a traduire: sdelatsa pianitseiou _s’goria_, t. c. samym _gorkim_ pia-nitseiou.”

20.–24. il y a bien quatre ans que je n’ai touche. Note that while _pas_ is omitted in this phrase it is used below (p. 21, l. 27) in _voila cinq ans que je n’en ai pas eu_; compare also: _il y a cinq ans que je me mariai_ (p. 22, l. 18), where there is no negative idea.

21.–10. prendre son verre d’eau-de-vie avant la soupe. Merimee gives the following note: “C’est l’usage en Russie de prendre de l’eau-de-vie un peu avant le diner.”

22.–6. serait-ce vous. The conditional here expresses uncertainty; it should be rendered in English by “cldquo;could” not by “wldquo;would.”

24.–14. reviens-nous. Note the use of the indirect object (instead of _a nous_) with a verb of motion.

GUY DE MAUPASSANT

Miromesnil (Seine-Superieure), 1850-Paris, 1893

De Maupassant was a godson and disciple of Flaubert, thus his name is closely connected with the Naturalistic School, which goes back to _Madame Bovary_, Flaubert’s masterpiece. The leading writers of this school are: Flaubert, the de Goncourt brothers, Daudet (only in portions of his work), Zola and Maupassant. Maupassant is known as a writer of short stories and as a novelist. His work is at times pessimistic and morbid, in this respect he represents the worst side of the Naturalists; he had, however, a remarkable power of observation and the “sldquo;saving gift of irony,” and was a master of style, the chief characteristics of which are strength and simplicity. In the artistic composition of the short story he is probably unsurpassed. Important works: _Des Vers_ (1880), _Une Vie_ (1883), _Bel Ami_ (1885), _Mont Oriol_ (1881), _Pierre et Jean_ (1888), _Fort comme la Mort_ (1889), and especially several collections of _Contes_.

Edition: Havard, 9 vols.; Ollendorff, 8 vols.

LA MAIN

27.–20. qu’entourent partout de hautes montagnes. Note the inversion in the relative clause.

28. ce terrible prejuge corse. Compare Merimee’s _Colomba_.

28.–10. on pretendit que c’etait. _Pretendre_, “tldquo;to maintain,” has the construction of a verb of saying, _pretendre_, “tldquo;to require” or “tldquo;to insist on,” takes the subjunctive.

29.–6. qui fumait. Note the relative clause where in English the participle would be used.

11. cette pays, cette rivage. Illustrations of the frequent mistakes in gender made by the English.

17. j’ave …bocoup. Illustrations of the errors made by the English in pronouncing French vowels; _avais_ is pronounced _ave_ and _eau_ in _beaucoup_ should not be drawled; this latter remark applies generally to French vowels. No (l. 24) represents the fa to nasalize; c’ete (for _c’etait_, l. 24) illustrates the error mentioned in regard to _avais_; une drap japonaise (p. 3 2), wrong gender; ma (p. 30, l. 17) for _mon_; c’ete, vene, ave (11. 17, 18), illustrate mistakes already mentioned; arrache la peau, that is, _la peau avait ete arrachee_; une caillou coupante, wrong gender; aoh, represents the English tendency to diphthongize simple vowels; tres bonne pour moi, cette = _c’est une tres bonne chose pour moi_; je ete (l. 30) for _j’etais_ or _j’ai ete_.

UNE VENDETTA

37.–13. revenir, retourner. These words are not synonymous.

39.–5. pour la lui entrer dedans. _Entrer_ is here transitive; it is used intransitively in the preceding paragraph.

26. des qu’elle apercevait. The imperfect is used to express the repetition of the action; this and the following paragraphs offer good material for a study of the use of tenses.

L’AVENTURE DE WALTER SCHNAFFS

41.–1. l’annee d’invasion. The reference is to the Franco-Prussian War of 1870-1871. This war was largely brought on through The instrumentality of Bismarck, who went so far as to falsify French telegrams; it resulted in the defeat of France and the loss of the Alsace-Lorraine territory. The French Emperor, Napoleon III, was overthrown and the present Republic was established.

9. il aimait se lever tard. _Aimer_, except in poetry or unless used colloquially as in this instance, is usually followed by the infinitive with a; sometimes it is followed by the simple infinitive,. in this case it is usually in the conditional or it is accompanied by certain adverbs (_mieux, autant, bien, assez_, etc.); it may even be followed by the infinitive with _de_ when the infinitive gives the cause (_je vous aime d’avoir fait cela_).

46.–21. des petites betes. In familiar style, or when the words form really only one idea, partition is expressed by _de_ and the article even when an adjective precedes the noun.

47.–16. on apercut l’ennemi. Apercevoir refers especially to the sense of sight, _s’apercevoir de_ to a mental process (_il s’apercut de son erreur_).

48.–4. cesserent. Note the plural verb though the singular subjects are not connected by _et_.

17. mangeaille, _-aille_ is a derogatory suffix; the force of the various French suffixes, to which little or no attention is paid in the ordinary French grammars, may be seen in the _Dictionnaire general_, vol. l, pp. 43 ff. and pp. 48 ff.; also in Ayer, _Grammaire comparee de la langue francaise_ (4th edition), pp. 300 ff.

49.–25. mon colonel. The possessive pronoun is used by French soldiers in addressing superior officers.

TOMBOUCTOU

63. -12. bonjou. The letter _r_ is as difficult for Tombouctou as it is for the negroes in the Southern States. Tombouctou’s language is like the Pidgin-English used in the Orient, he pays no attention to syntax, but puts his verbs in the first conjugation and in the> infinitive, that is, he knows only one form of the verb (_aime, cherche; reconne_, etc.); the mistakes will be easily seen (Bezi, p. 53, l. 18, is for _Bezieres_; Empeeu, p. 54, l. 7, is for _Empereur_; gives and capules, p. 57, l. 11, are for _grives_ and _crapules_; povisions, p. 58, l. 3, for _provisions_, etc.); gade, pesonne = _garder, personne_ (p. 60, l. 5); pati, p. 60, l. 21, is for _parti_, one verb which he does not put in the first conjugation; moi fait mange colonel, that is, he was the colonel’s cook; Algeie, for _Algerie_.

EN MER

64.–13. faut couper. Popular omission of the subject pronoun.

19. coupe pas. An example of the popular omission of _ne_.– je vas, for _je vais_; the first person is formed on analogy with the second and third (_vas, va_).

66.–13. iau. Dialectic for _eau_.

19. drait. Dialectic (Norman) for _droit_; this peculiarity may be seen in Canadian French, which is partly Norman in origin; the Latin _i_ and _e_ became in Old French _ei_, this sound developed in Modern French into _oi_, but the Norman dialect retained the Old French sound (represented here by _ai_).

23. aigue. Note the diaeresis, which indicates that _u_ is pronounced in this word.

67.–3. a c’t’-heure. For _a cette heure_, a popular phrase for _maintenant_; this also illustrates the popular tendency to slur over syllables and to omit completely the pronunciation of mute e.

11. j’pourrions t’y point. For _ne pourrais-je point?_ The uneducated often use the first person plural with _je; t’y_ (sometimes written _ti_ and _il_) represents the interrogative particle also used by the uneducated, it arose by analogy with the sound of the final syllable in such phrases as _est-il?, sont-ils?_

68.–17. il etait regardant a son bien. Compare the English construction: “hldquo;he was looking after his property”; this use of the French present participle is incorrect.

LES PRISONNIERS

70.–21. tous, boulangers, epiciers, etc. The French are fond of ridiculing these classes of tradespeople, particularly the _epiciers_, the _notaires_ and the _pharmaciens_; such soldiers would be far from the martial type.

72.–5. sept~huit. For _sept ou huit_; v’la, for _voila_, illustrates the popular tendency to slur over syllables.

13. oufrez. For _ouvrez_; the Germans in speaking a foreign language confuse voiced and unvoiced consonants, that is, b, d, g, j, v, become p, t, c, ch, f, and vice versa; these errors will be easily detected (che = _j’ai_; manche = _mange_, etc.).

73.–6. Un brave homme. Compare _un homme brave_; adjectives having secondary meanings precede their nouns when they have the figurative meaning and follow when the literal meaning occurs.

7. fous nous ferez a mancher. That is, _vous nous ferez manger_ or _vous nous donnerez a manger_.

74.–6. c’est les loups. Popular for _ce sont les loups_. 12. che. For _je_.

77.–11. entre eux. Note that there is no elision with _entre_ except in compound verbs (_entr’ouvrir_, etc.).

32. que qui font. _For qu’est-ce qu’ils font_ (_il_ and _ils_ are often pronounced _i_ even by the well educated).

78.–14. pi is for _puis_, t’as, for _tu as_; the other errors have already been noted.

80.–25. Potdevin. Note de Maupassant’s choice of names (_cf. Maloison_, etc.).

83.–21. medaille militaire. See note to p. 195, l. 24.

LE BAPTEME

86.–3. les femmes, c’est jamais pret. A further example of the popular omission of _ne_ and of the use of a singular verb instead of the agreement of the verb with the real subject.

5. qui avait appele le premier. _Le premier_ is in apposition to _qui_.

7. all’ viendront point. _All’_ represents the vulgar pronunciation of _elles_ with the tendency to omit completely the mute _e_; the omission of _ne_ has already been noted.

27. sage-femme. Compare _femme sage_, and notice the importance of the correct position of the adjective.

86.–29. le sel symbolique. Used in the Catholic christening ceremony.

87.–10. m’sieu. A further example of the slurring over of syllables by the uneducated (qu’ for _que_, m’ for _me_, vot’ for _votre_, Etc.).

12. dans les estomacs. That is, _dans l’estomac_, the plural may be by analogy with les entrailles.

17. grand’meres. Etymologically the apostrophe is an error. The adjective _grand_ had no distinct feminine form in Latin (_grandem_) nor in Old French (_grant_), consequently no _e_ has been omitted; the feminine form of Modern French (_grande_) is due to analogy with feminine adjectives where _e_ represents a Latin _a_ (_bonne_, from _bona_, etc.), the form _grand’_ is merely a preservation of the Old French form; _cf. grand’rue_, main street, _grand merci_, I thank you kindly (where the apostrophe is not written), also such adverbs as _prudemment, precipitamment_, etc. (see also note to p. 12, l. 25).

TOINE

90.–2. Toine-ma-Fine. A further illustration of de Maupassant’s choice of proper names. 24. be, pe. _Be_ is for _boire_, _pe_ for _Pere_, illustrating the dialectic omission of _r_ and the Norman pronunciation of _oi_ (see note to p. 66, l. 19).

91.–7. arrondissement. See note to p. 176, l. 15. 32. qu’al’est. For _parce qu’elle est_ (see note to p. 85, l. 7).

92.–1. i for _il_ (see note to p. 77, l. 32).

29. c’qu’arrivera. For _ce qui arrivera_, notice the incorrect use of _que_ as subject (no elision would occur with _qui_).

93.–4. la me. The article may be used in familiar or disrespectful address (for _la mere_).

94.–23. te. For _toi_ (see note to p. 66, l. 19); compare also me for moi (l. 25); c’est-il, incorrect for _est-ce que_ (see also note top. 67, l. 11).

95.–1. pu. For _plus_.

6. guetez. For _guettez_; in the same sentence both y and i represent _il_ (see note to p. 77, l. 32).

96.–16. li. For _lui_.

23. a. For _elle_ (see note to p. 85, l. 7).

28. pourque. For _pourquoi_; pisque (l. 29) for _puisque_.

91.–6. que que tu veux. For _qu’est-ce que tu veux_.

32. quasiment t’une lourdeur. _t’_ here shows that a liaison has been made. The question of liaison is difficult for a foreigner, some book on pronunciation (such as Geddes, _French Pronunciation_, Oxford Press) should be consulted.

98.–1. on entendit entrer. Notice that the indefinite subject of the infinitive is omitted.

18. un lapin qui bat du tambour. An allusion to the drumming of rabbits.

23. il dut couver, il dut renoncer. The past definite of certain verbs expresses accomplishment, “hldquo;he had to do it and he did it”; _devait_ would not express the accomplishment of the action.

100.–31. que. For _quel_.

101.–3. combien qu’i en a. For _combien qu’il y en a_, that is, _combien y a-t-il_?

5. cette famille nouvelle. When _nouveau_ is placed after the noun, it means “rldquo;recently appeared,” not “oldquo;other”; _nouveau_ should also be distinguished from _neuf_, which means “uldquo;unused” and follows its noun.

11. son enveloppe. The use of _son_ before a feminine noun beginning with a vowel arose by analogy with _bon: bon ami, bonne amie_, therefore _son ami, son amie_.

LE PERE MILON

103.–4. la guerre de 1870. See note to p. 41, l. 1.

105.–14. tretous. A dialectic survival of an Old French form (in Old French _trestot, trestout_, etc., are at times used for _tout_, etc.; the word is derived from _tres_ and _tout_).

28. qu’il etait. The uneducated are fond of introducing que in phrases where it is unnecessary. Other dialectic peculiarities in this paragraph which have not been noted are: pu de chinquante for _plus de cinquante_, the Picard dialect resembles the Italian in the pronunciation of the soft _c_, on the other hand the French _ch_ is pronounced in the Picard dialect as hard _c (k)_, _vache_ becoming vaque; itou is another instance of a dialectic survival of an Old French word (in Old French _itel_, “sldquo;such, similarly, also,” occurred, formed on analogy with _icel=celui; itel_ and _tel, icel_ and _cel_ were used without difference of meaning, _i_ is a relic of the Latin _ecce_ originally added to the word for the sake of emphasis); li is for _lui_. The following errors in syntax occur in this passage: The first sentence should read, _Je revenais un soir, alors qu’il etait peut-etre dix heures, le lendemain apres que vous etiez venus_ (or _arrives_) _ici_. After the phrase, _Je me dis_, read, _Autant de fois qu’ils me prendront vingt ecus, autant de fois je leur revaudrai ca. De sorte_ or a similar phrase should be supplied before _qu’il n’entendit_, also before _qu’il n’a pas seulement dit_.

109.–2. pu, pus. Both stand for plus, the spelling of the latter form represents the frequent pronunciation of _s_ in plus when it stands before a pause.

8. l’Empereur premier. For Napoleon Premier.

16. ou que. _Que_ is superfluous; after chez me (l. 17), insert _de sorte_ or _de telle facon_.

27. le vieux. See note to p. 93, l. 4.

32. toute coupee. In this construction _tout_ does not take the feminine form if the following adjective begins with a vowel (tout ancienne, etc.).

ALPHONSE DAUDET

Nimes, 1840–Paris, 1897

Daudet has given the impressions and the experiences of his early life in the two volumes with which he established his reputation: _Le Petit Chose_ and _Lettres de Mon Moulin_; in the former he describes the struggles of his boyhood, and in the latter the customs and legends of his native Provence. The books which he published later are of a different character, marked by the influence of the Naturalistic School, but unlike the other members of this school, he was endowed with a spontaneous, sympathetic nature, which enabled him to feel what he described. Thus while de Maupassant describes with the greatest art what he observes, Daudet sympathetically describes what he observes and feels. He had too much originality ever to come completely under the influence of the Naturalists. His short stories usually deal with some incident of the Franco-Prussian War (_Le Siege de Berlin, La Derniere Classe, La Vision du Juge de Colmar_, etc.) or with life in the Midi (_Lettres de Mon Moulin_). _Le Cure de Cucugnan_ and _Le Sous-Prefet aux Champs_ are taken from _Lettres de Mon Moulin_ (1869), the remaining three stories of the collection are taken from _Contes du Lundi_ (1873). His best novels are given in the following list; in these he has often been compared with Dickens and Thackeray.

Important works (besides the collections of short stories mentioned): _Les Amoureuses_ (verse, 1858), _Le Petit Chose_ (1868), _Aventures Prodigieuses de Tartarin de Tarascon_ (1872), _L’Arlesienne_ (drama, 1872), _Fromont Jeune et Risler Aine_ (1874), _Jack_ (1876), _Le Nabab_ (1877), _Les Rois en Exil_ (1879), _Numa Roumestan_ (1881), _L’Evangeliste_ (1883), _Sapho_ (1884), _Tartarin sur les Alpes_ (1885), _La Defense de Tarascon_ (1887), _L’Immortel_ (1888), _Port Tarascon_ (1890).

Edition: Flammarion, 13 vols. (illustrated); Charpentier, Dentu, Hetzel and Lemerre have each published portions of his work.

LE CURE DE CUCUGNAN

This story is an almost literal translation of _Lou Curat de Cucugnan_, a Provencal story by Roumanille, published by him under the pseudonym of Lou Cascarelet in the _Armana prouvencau_ (Provencal Almanac) in 1867 (Daudet was in Provence during this year). This Almanac was first published in the year 1855, a little after the foundation of the _Felibrige_ (May 21, 1854). _The Felibrige_ was a brotherhood of modern Provencal poets, its purpose was to revive Provencal as a literary language; the word _Felibrige_ is of unknown origin, it comes from an obscure word found by Mistral in a Provencal text; the members of the brotherhood, which later became a great literary society, were called _felibres_; the brotherhood was originated by Roumanille, who was followed by a more celebrated poet, Mistral, and five other poets, Aubanel, Brunet, Camille Raybaud, Mathieu and Felix Gras. In regard to the _Armana prouvencau_, the following quotation from an article by Mistral in _Les Annales politiques et litteraires_, May 13, 1906, will give an idea of the type of this Almanac: “Et sans parler ici des innombrables poesies qui s’y sont publiees, sans parler de ses Chroniques, ou est continue, peut-on dire, l’histoire du Felibrige, la quantite de contes, de legendes, de sornettes, de faceties et de gaudrioles, tous recueillis dans le terroir, qui s’y sont ramasses, font de cette entreprise une collection unique. Toute la tradition, toute la raillerie, tout l’esprit de notre race se trouvent serres la-dedans.” The dialects of France fall into two great classes: the _Langue d’oil_, in the north, and the _Langue d’oc_, in the south (_oil_ is the old> northern form for _oui, oc_ the southern form). The difference really dates from Roman colonization, which occurred on the Mediterranean some seventy-five years before Caesar conquered northern Gaul (59–5l B.C.). Provencal is one of the principal dialects of the southern group; during the eleventh, twelfth and thirteenth centuries (prior to the Albigensian crusade) it was, at least in lyric poetry, the most important literary language of France. Because of political and literary superiority, the language of Paris, or of the Ile-de-France, became the general literary language of France. The dialects, however, still live on, and Provencal has, as described above, been somewhat revived as a literary language by the efforts of Mistral and the other poets of the _Felibrige_. Many scholars regard the characteristics of the territory embraced by the modern departments of Loire, Rhone, Isere, Ain, Savoie, the old province of Franche-Comte and a part of Switzerland as sufficient to form a third group of dialects known as _Franco-Provencal_. The dividing line between the _Langue d’oc_ and the _Langue d’oil_ passes approximately from the mouth of the Gironde to the Alps by way of Limoges, Clermont-Ferrand and Grenoble.

111.–1. a la Chandeleur. The article in such constructions is usually explained as equal to _la fete de_; it should be noticed, however, that in Old French a substantive frequently occurred in the oblique without a preceding _de_, the construction being equal to the Latin genitive, no preposition having been used (the phrase is thus literally: “oldquo;on that of Candlemas”).

2. en Avignon. _En_ is not now used with cities except in ironical imitation of Provencal style (see Brunot, _Precis de grammaire historique de la langue francaise_, sec. 496, 2) or as a poetic and archaic survival of the usage of the seventeenth century,–un joyeux petit livre. The _Armana prouvencau_.

112.–3. quel bon vent. The verb is to be supplied (_quel bon vent vous amene?_).

4. le grand livre et la clef. Cf. Matthew xvi, 19 and Revelation xx, 12.

11. disons-nous. Here = _vous dites_.

27. faites que je puisse. _Faire_ in the imperative is followed by the subjunctive, elsewhere by the indicative (_c’est ce qui fait que cela va mal_), but notice that _faites attention_ takes the indicative (_faites attention qu’il est la_).

114.–19. je n’ai pas entendu chanter le coq. See Matthew xvi, 34 ff.

116.–9. en l’air. _En_ is never used before _les_; it is rarely used before the singular definite article, when it is so used the article is usually elided. In those cases where _en_ is not used, _dans_ takes its place; _en_ was more frequently used in former times, it is now largely limited to fixed phrases. The following distinctions should also be observed: _je ferai cet ouvrage en deux jours_ (two days will be required), _je ferai cet ouvrage dans deux jours_ (after two days have elapsed).

117.–7. rang par rang… quand on danse. As in the dance called the _farandole_, where a number of people join bands and dance in a long line.

16. le meunier. The French have always ridiculed the millers; cf. the proverb: _il n’y a rien de plus hardi que la chemise d’un meunier, parce qu’elle prend, tous les matins, un fripon au collier_; also, _il s’est fait d’eveque meunier_, said when one has fallen from a good position to a poorer one.

118.–4. le. This pronoun does not refer to _histoire_, but to all that has been told. This paragraph has not been added by Daudet, but occurs in the Provencal version.

LE SOUS-PREFET AUX CHAMPS

121.–26. de plus belle. See note to p. 4, l. 7.

LE PAPE EST MORT

123.–1. une grande ville de province. Daudet was born at Nimes, his father was a wealthy manufacturer of silk handkerchiefs, the father lost his money and moved to Lyons when Alphonse was nine years old, it was here that the boy went to school and it is this city that is described in the story.

2. tres-encombree. The hyphen is now omitted after _tres_.

125.–32. j’avais beau revenir. Littre explains this idiom as follows: “_Avoir beau_, c’est toujours avoir beau champ, beau temps, belle occasion; _avoir beau faire_, c’est proprement avoir tout favorable pour faire. Voila le sens ancien et naturel. Par une ironie facile a comprendre, _avoir beau_ a pris le sens d’avoir le champ libre, de pouvoir faire ce qu’on voudra, et, par suite, de se perdre en vains efforts.”

127.–13. Pie VII. Pius VII was imprisoned by Napoleon (l’empereur, l. 16) at Fontainebleau from 1812 to 1814; the words _comediante… tragediante_ were used by Napoleon to the Pope and by the Pope to Napoleon.

UN REVEILLON DANS LE MARAIS

130.–23. vieux, vieux. The .repetition of an adjective for emphasis is much more common in Italian than in French.

132.–3. une Diane… avec un croissant au front. A conventional manner of representing the goddess.

4. triolets. In versification this name (_triolet_) is given to a poem of eight lines, of which the first is repeated after the third, and both the first and second after the sixth, it is a development of the Old French _rondeau_; in music, as it is here used, the name is given to a group of three notes which, in a measure of 3/4 time, produces the effect of 6/8 time.

LA VISION DU JUGE DE COLMAR

134.–1. l’empereur Guillaume. William I, King of Prussia in 1861 and Emperor of Germany from 1871 to 1888; it was during his reign that the Franco-Prussian War occurred.

17. restez assis. In France the judges hold office for life (_magistrature assise_), while prosecuting attorneys, etc., may be removed from office by the Minister of Justice (_magistrature debout_); there is thus a double meaning in _restez assis_ “rldquo;remain seated” or “rldquo;remain a judge (for life)”; on condition, of course, that Dollinger renounce his allegiance to France and take the oath of allegiance to Germany.

26. le meme grand christ. Used in administering oaths, the person who took the oath raised his right hand toward the crucifix.

136.–4. aussi n’avancent-ils. Notice that _aussi_ here means “tldquo;therefore” and that it causes inversion (this occurs also with _a peine, encore, peut-etre, ici, la_, etc.).

137.–5. des robes noires, des robes rouges. The former are worn by the judges in the lower courts, the latter by the judges in the courts of appeal.

6. president. The French Department of Justice is now constituted as follows. The Department has at its head a Cabinet Minister (_Ministre de la Justice_) and it comprises a civil and a criminal jurisdiction. In each canton is a justice of the peace, in each department a civil court, and in sixteen important cities a court of appeal. Criminals are tried in each department in a court of assize, before a jury of citizens and judges of whom the presiding judge is termed the _president_ and the assistant judges _conseillers assesseurs_. Above all courts is the Court of Appeal (_Cour de Cassation_, in the _Palais de Justice_ at Paris); this court is charged with looking after the strict observance of the Laws.

138.–24. monsieur le comte. Bismarck was given the higher title of Prince in 1871.

ERCKMANN-CHATRIAN

Emile Erckmann, Phalsbourg, 1822–Luneville, 1899. Alexandre Chatrian, Soldatenthal, 1826–Villemombles, 1890