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  • 1894
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quand je sens ta vie contre ma vie, quand tes genoux se dressent derriËre moi, alors ma bouche haletante ne sait mÍme plus
trouver la tienne.

…treins-moi comme je t’Ètreins! Vois, la lampe vient de mourir, nous roulons dans la nuit; mais je presse ton corps br˚lant et j’entends ta plainte perpÈtuelle…

GÈmis! gÈmis! gÈmis! Ù femme! ErÙs nous traÓne dans la douleur. Tu souffrirais moins sur ce lit pour mettre un enfant au monde que pour accoucher de ton amour.

73 — REPRISE (non traduite)

74 — LE COEUR

Haletante, je lui pris la main et je l’appliquai fortement sous la peau moite de mon sein gauche. Et je tournais la tÍte ici et l‡ et je remuais les lËvres sans parler.

Mon coeur affolÈ, brusque et dur, battait et battait ma poitrine, comme un satyre emprisonnÈ heurterait, ployÈ dans une outre. Elle me dit: ´ Ton coeur te fait mal… ª

´ ‘ Mnasidika, rÈpondis-je, le coeur des femmes n’est pas l‡. Celui-ci est un pauvre oiseau, une colombe qui remue ses ailes faibles. Le coeur des femmes est plus terrible.

´ Semblable ‡ une petite baie de myrte, il br˚le dans la flamme rouge et sous une Ècume abondante. C’est l‡ que je me sens mordue par la vorace AphroditÍ. ª

75 — PAROLES DANS LA NUIT

Nous reposons, les yeux fermÈs; le silence est grand autour de notre couche. Nuits ineffables de l’ÈtÈ! Mais elle, qui me croit endormie, pose sa main chaude sur mon bras.

Elle murmure: ´ Bilitis, tu dors? ª Le coeur me bat, mais sans rÈpondre, je respire rÈguliËrement comme une femme couchÈe dans les rÍves. Alors elle commence ‡ parler:

´ Puisque tu ne m’entends pas, dit-elle, ah! que je t’aime! ª Et elle rÈpËte mon nom. ´ Bilitis… Bilitis… ª Et elle m’effleure du bout de ses doigts tremblants:

´ C’est ‡ moi, cette bouche! ‡ moi seule! Y en a-t-il une plus belle au monde? Ah! mon bonheur, mon bonheur! C’est ‡ moi ces bras nus, cette nuque et ces cheveux… ª

76 — L’ABSENCE

Elle est sortie, elle est loin, mais je la vois, car tout est plein d’elle dans cette chambre, tout lui appartient, et moi comme le reste.

Ce lit encore tiËde o˘ je laisse errer ma bouche, est foulÈ ‡ la mesure de son corps. Dans ce coussin tendre a dormi sa petite tÍte enveloppÈe de cheveux.

Ce bassin est celui o˘ elle s’est lavÈe; ce peigne a pÈnÈtrÈ les noeuds de sa chevelure emmÍlÈe. Ces pantoufles prirent ses pieds nus. Ces poches de gaze continrent ses seins.

Mais ce que je n’ose toucher du doigt, c’est ce miroir o˘ elle a vu ses meurtrissures toutes chaudes, et o˘ subsiste peut-Ítre encore le reflet de ses lËvres mouillÈes.

77 — L’AMOUR

HÈlas, si je pense ‡ elle, ma gorge se dessËche, ma tÍte retombe, mes seins durcissent et me font mal, je frissonne et je pleure en marchant.

Si je la vois, mon coeur s’arrÍte, mes mains tremblent, mes pieds se glacent, une rougeur de feu monte ‡ mes joues, mes tempes battent douloureusement.

Si je la touche, je deviens folle, mes bras se raidissent, mes genoux dÈfaillent. Je tombe devant elle, et je me couche comme une
femme qui va mourir.

De tout ce qu’elle me dit je me sens blessÈe. Son amour est une torture et les passants entendent mes plaintes… HÈlas! Comment puis-je l’appeler Bien-AimÈe?

78 — LA PURIFICATION

Te voil‡! dÈfais tes bandelettes, et tes agrafes et ta tunique. ‘te jusqu’‡ tes sandales, jusqu’aux rubans de tes jambes, jusqu’‡ la bande de ta poitrine.

Lave le noir de tes sourcils, et le rouge de tes lËvres. Efface le blanc de tes Èpaules et dÈfrise tes cheveux dans l’eau.

Car je veux t’avoir toute pure, telle que tu naquis sur le lit, aux pieds de ta mËre fÈconde et devant ton pËre glorieux,

Si chaste que ma main dans ta main te fera rougir jusqu’‡ la bouche, et qu’un mot de moi sous ton oreille affolera tes yeux
tournoyants.

79 — LA BERCEUSE DE MNASIDIKA

Ma petite enfant, si peu d’annÈes que j’aie de plus que toi-mÍme, je t’aime, non pas comme une amante, mais comme si tu Ètais sortie de mes entrailles laborieuses.

Lorsque Ètendue sur mes genoux, tes deux bras frÍles autour de moi, tu cherches mon sein, la bouche tendue, et me tettes avec lenteur entre tes lËvres palpitantes,

Alors je rÍve qu’autrefois, j’ai allaitÈ rÈellement cette bouche douillette, souple et baignÈe, ce vase myrrhin couleur de pourpre o˘ le bonheur de Bilitis est mystÈrieusement enfermÈ.

Dors. Je te bercerai d’une main sur mon genou qui se lËve et s’abaisse. Dors ainsi. Je chanterai pour toi les petites chansons lamentables qui endorment les nouveaux-nÈs…

80 — PROMENADE AU BORD DE LA MER

Comme nous marchions sur la plage, sans parler, et enveloppÈes jusqu’au menton dans nos robes de laine sombre, des jeunes filles joyeuses ont passÈ.

´ Ah! c’est Bilitis et Mnasidika! Voyez, le beau petit Ècureuil que nous avons pris: il est doux comme un oiseau et effarÈ comme un lapin.

´ Chez LydÈ nous le mettrons en cage et nous lui donnerons beaucoup de lait avec des feuilles de salade. C’est une femelle, elle vivra longtemps. ª

Et les folles sont parties en courant. Pour nous, sans parler nous nous sommes assises, moi sur une roche, elle sur le sable, et nous avons regardÈ la mer.

81 — L’OBJET

´ Salut, Bilitis, Mnasidika, salut. — Assieds-toi. Comment va ton mari? — Trop bien. Ne lui dites pas que vous m’avez vue. Il me tuerait s’il me savait ici. — Sois sans crainte.

— Et voil‡ votre chambre? et voil‡ votre lit? Pardonne-moi. Je suis curieuse. — Tu connais cependant le lit de MyrrhinÍ. — Si peu. — On la dit jolie. — Et lascive, Ù ma chËre! mais taisons-nous.

— Que voulais-tu de moi? — Que tu me prÍtes… — Parle. — Je n’ose nommer l’objet. — Nous n’en avons pas. — Vraiment? — Mnasidika est vierge. — Alors, o˘ en acheter? — Chez le cordonnier DrakhÙn.

— Dis aussi: qui te vend ton fil ‡ broder? Le mien se casse dËs qu’on le regarde. — Je le fais moi-mÍme, mais NaÔs en vend d’excellent. — ¿ quel prix? — Trois oboles. — C’est cher. Et l’objet? — Deux drachmes — Adieu. ª

82 — SOIR PR»S DU FEU

L’hiver est dur, Mnasidika. Tout est froid, hors notre lit. LËve-toi, cependant, viens avec moi, car j’ai allumÈ un grand feu avec des souches mortes et du bois fendu.

Nous nous chaufferons accroupies, toutes nues, nos cheveux sur le dos, et nous boirons du lait dans la mÍme coupe et nous mangerons des g‚teaux au miel.

Comme la flamme est sonore et gaie! N’es-tu pas trop prËs? Ta peau devient rouge.
Laisse-moi la baiser partout o˘ le feu l’a faite br˚lante.

Au milieu des tisons ardents je vais chauffer le fer et te coiffer ici. Avec les charbons Èteints j’Ècrirai ton nom sur le mur.

83 — PRI»RES

Que veux-tu? dis-le. S’il le faut, je vendrai mes derniers bijoux pour qu’une esclave attentive guette le dÈsir de tes yeux, la soif quelconque de tes lËvres.

Si le lait de nos chËvres te semble fade, je louerai pour toi, comme pour un enfant, une nourrice aux mamelles gonflÈes qui chaque matin t’allaitera.

Si notre lit te semble rude, j’achËterai tous les coussins mous, toutes les couvertures de soie, tous les draps fourrÈs de plumes des marchandes amathusiennes.

Tout. Mais il faut que je te suffise, et si nous dormions sur la terre, il faut que la terre te soit plus douce que le lit chaud d’une ÈtrangËre.

84 — LES YEUX

Larges yeux de Mnasidika, combien vous me rendez heureuse quand l’amour noircit vos paupiËres et vous anime et vous noie sous les larmes;

Mais combien folle, quand vous vous
dÈtournez ailleurs, distraits par une femme qui passe ou par un souvenir qui n’est pas le mien.

Alors mes joues se creusent, mes mains tremblent et je souffre… Il me semble que de toutes parts, et devant vous ma vie s’en va.

Larges yeux de Mnasidika, ne cessez pas de me regarder! ou je vous trouerai avec mon
aiguille et vous ne verrez plus que la nuit terrible.

85 — LES FARDS

Tout, et ma vie, et le monde, et les hommes, tout ce qui n’est pas elle n’est rien.
Tout ce qui n’est pas elle, je te le donne, passant.

Sait-elle que de travaux j’accomplis pour Ítre belle ‡ ses yeux, par ma coiffure et par mes fards, par mes robes et mes parfums?

Aussi longtemps je tournerais la meule, je ferais plonger la rame ou je bÍcherais la terre, s’il fallait ‡ ce prix la retenir ici.

Mais faites qu’elle ne l’apprenne jamais, DÈesses qui veillez sur nous! Le jour o˘ elle saura que je l’aime elle cherchera une autre femme.

86 — LE SILENCE DE MNASIDIKA

Elle avait ri toute la journÈe, et mÍme elle s’Ètait un peu moquÈe de moi. Elle avait refusÈ de m’obÈir, devant plusieurs femmes ÈtrangËres.

Quand nous sommes rentrÈes, j’ai affectÈ de ne pas lui parler, et comme elle se jetait ‡ mon cou, en disant: ´ Tu es f‚chÈe? ª je lui ai dit:

´ Ah! tu n’es plus comme autrefois, tu n’es plus comme le premier jour. Je ne te
reconnais plus, Mnasidika. ª Elle ne m’a rien rÈpondu;

Mais elle a mis tous ses bijoux qu’elle ne portait plus depuis longtemps, et la mÍme robe jaune brodÈe de bleu que le jour de notre rencontre.

87 — SC»NE

´ O˘ Ètais-tu? — Chez la marchande de fleurs. J’ai achetÈ des iris trËs beaux. Les voici, je te les apporte. — Pendant si longtemps tu as achetÈ quatre fleurs? — La marchande m’a retenue.

— Tu as les joues p‚les et les yeux brillants. — C’est la fatigue de la
route. — Tes cheveux sont mouillÈs et mÍlÈs. — C’est la chaleur et c’est le vent qui m’ont toute dÈcoiffÈe.

— On a dÈnouÈ ta ceinture. J’avais fait le noeud moi-mÍme, plus l‚che que celui-ci. — Si l‚che qu’elle s’est dÈfaite; un esclave qui passait me l’a renouÈe.

— Il y a une trace ‡ ta robe. — C’est l’eau des fleurs qui est tombÈe. — Mnasidika, ma petite ‚me, tes iris sont les plus beaux qu’il y ait dans tout MytilËne. — Je le sais bien, je le sais bien. ª

88 — ATTENTE

Le soleil a passÈ toute la nuit chez les morts depuis que je l’attends, assise sur mon lit, lasse d’avoir veillÈ. La mËche de la lampe ÈpuisÈe a br˚lÈ jusqu’‡ la fin.

Elle ne reviendra plus: voici la derniËre Ètoile. Je sais bien qu’elle ne viendra plus. Je sais mÍme le nom que je hais. Et cependant j’attends encore.

Qu’elle vienne maintenant! oui, qu’elle vienne, la chevelure dÈfaite et sans roses, la robe souillÈe, tachÈe, froissÈe, la langue sËche et les paupiËres noires!

DËs qu’elle ouvrira la porte, je lui dirai… mais la voici… C’est sa robe que je touche, ses mains, ses cheveux, sa peau. Je l’embrasse d’une bouche Èperdue, et je pleure.

89 — LA SOLITUDE

Pour qui maintenant farderais-je mes lËvres? Pour qui polirais-je mes ongles? Pour qui parfumerais-je mes cheveux?

Pour qui mes seins poudrÈs de rouge, s’ils ne doivent plus la tenter? Pour qui mes bras lavÈs de lait s’ils ne doivent plus jamais l’Ètreindre?

Comment pourrais-je dormir? Comment
pourrais-je me coucher? Ce soir ma main, dans tout mon lit, n’a pas trouvÈ sa main chaude.

Je n’ose plus rentrer chez moi, dans la chambre affreusement vide. Je n’ose plus rouvrir la porte. Je n’ose mÍme plus rouvrir les yeux.

90 — LETTRE

Cela est impossible, impossible. Je t’en supplie ‡ genoux, avec larmes, toutes les larmes que j’ai pleurÈes sur cette horrible lettre, ne m’abandonne pas ainsi.

Songes-tu combien c’est affreux de te reperdre ‡ jamais pour la seconde fois, aprËs avoir eu l’immense joie d’espÈrer te reconquÈrir. Ah! mes amours! ne sentez-vous donc
pas ‡ quel point je vous aime!

…coute-moi. Consens ‡ me revoir encore une fois. Veux-tu Ítre demain, au soleil couchant, devant ta porte? Demain, ou le jour suivant. Je viendrai te prendre. Ne me refuse pas cela.

La derniËre fois peut-Ítre, soit, mais encore cette fois, encore cette fois! Je te le demande, je te le crie, et songe que de ta rÈponse dÈpend le reste de ma vie.

91 — LA TENTATIVE

Tu Ètais jalouse de nous, Gyrinno, fille trop ardente. Que de bouquets as-tu fait suspendre au marteau de notre porte! Tu nous attendais au passage et tu nous suivais dans la rue.

Maintenant tu es selon tes voeux, Ètendue ‡ la place aimÈe, et la tÍte sur ce coussin o˘ flotte une autre odeur de femme. Tu es plus grande qu’elle n’Ètait. Ton corps diffÈrent m’Ètonne.

Regarde, je t’ai enfin cÈdÈ. Oui, c’est moi. Tu peux jouer avec mes seins, caresser ma hanche, ouvrir mes genoux. Mon corps tout entier s’est livrÈ ‡ tes lËvres infatigables, — hÈlas!

Ah! Gyrinno! avec l’amour mes larmes aussi dÈbordent! Essuie-les avec tes cheveux, ne les baise pas, ma chÈrie; et enlace moi de plus prËs encore pour maÓtriser mes
tremblements.

92 — L’EFFORT

Encore! assez de soupirs et de bras ÈtirÈs! Recommence! Penses-tu donc que l’amour
soit un dÈlassement? Gyrinno, c’est une t‚che, et de toutes la plus rude.

RÈveille-toi! Il ne faut pas que tu dormes! Que m’importent tes paupiËres bleues et la barre de douleur qui br˚le tes jambes maigres. AstartÈ bouillonne dans mes reins.

Nous nous sommes couchÈes avant le crÈpuscule. Voici dÈj‡ la mauvaise aurore; mais je ne suis pas lasse pour si peu. Je ne dormirai pas avant le second soir.

Je ne dormirai pas: il ne faut pas que tu dormes. Oh! comme la saveur du matin est amËre! Gyrinno, appprÈcie-la. Les baisers sont plus difficiles, mais plus Ètranges, et plus lents.

93 — MYRRHIN  (non traduite)

94 — A GYRINN‘

Ne crois pas que je t’aie aimÈe. Je t’ai mangÈe comme une figue m˚re, je t’ai bue comme une eau ardente, je t’ai portÈe autour de moi comme une ceinture de peau.

Je me suis amusÈe de ton corps, parce que tu as les cheveux courts, les seins en pointe sur ton corps maigre, et les mamelons noirs comme deux petites dattes.

Comme il faut de l’eau et des fruits, une femme aussi est nÈcessaire, mais dÈj‡ je ne sais plus ton nom, toi qui as passÈ dans mes bras comme l’ombre d’une autre adorÈe.

Entre ta chair et la mienne, un rÍve br˚lant m’a possÈdÈe. Je te serrais sur moi comme sur une blessure et je criais: Mnasidika! Mnasidika! Mnasidika!

95 — LE DERNIER ESSAI

´ Que veux-tu, vieille? — Te consoler. — C’est peine perdue. — On m’a dit que depuis ta rupture, tu allais d’amour en amour sans trouver l’oubli ni la paix. Je viens te proposer quelqu’un.

— Parle. — C’est une jeune esclave nÈe ‡ Sardes. Elle n’a pas sa pareille au monde, car elle est ‡ la fois homme et femme, bien que sa poitrine et ses longs cheveux et sa voix claire fassent illusion.

— Son ‚ge? — Seize ans. — Sa taille? — Grande. Elle n’a connu personne ici, hors Psappha qui en est Èperdument amoureuse et a voulu me l’acheter vingt mines. Si tu la loues, elle est ‡ toi. — Et qu’en ferai-je?

Voici vingt-deux nuits que j’essaye en vain d’Èchapper au souvenir… Soit, je prendrai celle-ci encore, mais prÈviens la pauvre petite, pour qu’elle ne s’effraye point si je sanglote dans ses bras. ª

96 — LE SOUVENIR D…CHIRANT

Je me souviens… (‡ quelle heure du jour ne l’ai-je pas devant mes yeux?) je me souviens de la faÁon dont Elle soulevait ses cheveux avec ses faibles doigts si p‚les.

Je me souviens d’une nuit qu’elle passa, la joue sur mon sein, si doucement, que le bonheur me tint ÈveillÈe, et le lendemain elle avait au visage la marque de la papille ronde.

Je la vois tenant sa tasse de lait et me regardant de cÙtÈ, avec un sourire. Je la vois, poudrÈe et coiffÈe, ouvrant ses grands yeux devant son miroir, et retouchant du doigt le rouge de ses lËvres.

Et surtout, si mon dÈsespoir est une perpÈtuelle torture, c’est que je sais, instant par instant, comment elle dÈfaille dans les bras de l’autre, et ce qu’elle lui demande et ce qu’elle lui donne.

97 — ¿ LA POUP…E DE CIRE

PoupÈe de cire, jouet chÈri qu’elle appelait son enfant, elle t’a laissÈe toi aussi et elle t’oublie comme moi, qui fus avec elle ton pËre ou ta mËre, je ne sais.

La pression de ses lËvres avaient dÈteint tes petites joues; et ‡ ta main gauche voici ce doigt cassÈ qui la fit tant pleurer. Cette petite cyclas que tu portes, c’est elle qui te l’a brodÈe.

¿ l’entendre, tu savais dÈj‡ lire. Pourtant tu n’Ètais pas sevrÈe, et le soir, penchÈe sur toi, elle ouvrait sa tunique et te donnait le sein, ´ afin que tu ne pleures pas ª, disait-elle.

PoupÈe, si je voulais la revoir, je te donnerais ‡ l’AphroditÍ, comme le plus cher de mes cadeaux. Mais je veux penser qu’elle est tout ‡ fait morte.

98 — CHANT FUN»BRE

Chantez un chant funËbre, muses MytilÈniennes, chantez! La terre est sombre comme un vÍtement de deuil et les arbres jaunes frissonnent comme des chevelures coupÈes.

HÈraÔos! Ù mois triste et doux! les feuilles tombent doucement comme la neige; le soleil est plus pÈnÈtrant dans la forÍt plus Èclaircie. Je n’entends plus rien que le silence.

Voici qu’on a portÈ au tombeau Pittakos chargÈ d’annÈes. Beaucoup sont morts, que j’ai connus. Et celle qui vit est pour moi comme si elle n’Ètait plus.

Celui-ci est le dixiËme automne que j’ai vu mourir sur cette plaine. Il est temps aussi que je disparaisse. Pleurez avec moi, muses MytilÈniennes, pleurez sur mes pas!

III

…PIGRAMMES DANS L’ŒLE DE CHYPRE

PHILOD»ME.

99 — HYMNE ¿ ASTART…

MËre inÈpuisable, incorruptible, crÈatrice, nÈe la premiËre, engendrÈe par toi-mÍme, conÁue de toi-mÍme, issue de toi seule et qui te rÈjouis en toi, AstartÈ!

‘ perpÈtuellement fÈcondÈe, Ù vierge et nourrice de tout, chaste et lascive, pure et jouissante, ineffable, nocturne, douce, respiratrice du feu, Ècume de la mer!

Toi qui accordes en secret la gr‚ce, toi qui unis, toi qui aimes, toi qui saisis d’un furieux dÈsir les races multipliÈes des bÍtes sauvages, et joins les sexes dans les forÍts,

‘ AstartÈ irrÈsistible, entends-moi, prends-moi, possËde-moi, Ù Lune! et treize fois, chaque annÈe, arrache ‡ mes entrailles la libation de mon sang!

100 — HYMNE ¿ LA NUIT

Les masses noires des arbres ne bougent pas plus que des montagnes. Les Ètoiles emplissent un ciel immense. Un air chaud comme un souffle humain caresse mes yeux et mes joues.

‘ Nuit qui enfantas les Dieux! comme tu es douce sur mes lËvres! comme tu es chaude dans mes cheveux! comme tu entres en moi ce soir, et comme je me sens grosse de tout ton printemps!

Les fleurs qui vont fleurir vont toutes naÓtre de moi. Le vent qui respire est mon haleine. Le parfum qui passe est mon dÈsir. Toutes les Ètoiles sont dans mes yeux.

Ta voix, est-ce le bruit de la mer, est-ce le silence de la plaine? Ta voix, je ne la comprends pas, mais elle me jette la tÍte aux pieds et mes larmes lavent mes deux mains.

101 — LES M…NADES

¿ travers les forÍts qui dominent la mer, les MÈnades se sont ruÈes. MaskhalÍ aux seins fougueux, hurlante, brandissait le phallos, qui Ètait de bois de sycomore et barbouillÈ de vermillon.

Toutes, sous la bassaris et les couronnes de pampre, couraient et criaient et sautaient, les crotales claquaient dans les mains, et les thyrses crevaient la peau des tympanÙns retentissants.

Chevelures mouillÈes, jambes agiles, seins rougis et bousculÈs, sueur des joues, Ècume des lËvres, Ù Dionysos, elles t’offraient en retour l’ardeur que tu jetais en elles!

Et le vent de la mer relevant vers le ciel les cheveux roux de HÈliokomis, les tordait comme une flamme furieuse sur une torche de blanche cire.

102 — LA MER DE KYPRIS

Sur le plus haut promontoire je me suis couchÈe en avant. La mer Ètait noire comme un champ de violettes. La voie lactÈe
ruisselait de la grande mamelle divine.

Mille MÈnades autour de moi dormaient dans les fleurs dÈchirÈes. Les longues herbes se mÍlaient aux chevelures. Et voici que le soleil naquit dans l’eau orientale.

C’Ètaient les mÍmes flots et le mÍme rivage qui virent un jour apparaÓtre le corps blanc d’Aphrodita… Je cachai tout ‡ coup mes yeux dans mes mains.

Car j’avais vu trembler sur l’eau mille petites lËvres de lumiËre: le sexe pur ou le sourire de Kypris PhilommeÔdËs.

103 — LES PR TRESSES DE L’ASTART…

Les prÍtresses de l’AstartÈ font l’amour au lever de la lune; puis elles se relËvent et se baignent dans un bassin vaste aux
margelles d’argent.

De leurs doigts recourbÈs, elles peignent leurs chevelures, et leurs mains teintes de pourpre, mÍlÈes ‡ leurs boucles noires, semblent des branches de corail dans une mer sombre et flottante.

Elles ne s’Èpilent jamais, pour que le triangle de la dÈesse marque leur ventre comme un temple; mais elles se teignent au pinceau et se parfument profondÈment.

Les prÍtresses de l’AstartÈ font l’amour au coucher de la lune; puis dans une salle de tapis o˘ br˚le une haute lampe d’or, elles se couchent au hasard.

104 — LES MYST»RES

Dans l’enceinte trois fois mystÈrieuse, o˘ les hommes ne pÈnËtrent pas, nous t’avons fÍtÈe, AstartÈ de la Nuit, MËre du Monde, Fontaine de la vie des Dieux!

J’en rÈvÈlerai quelque chose, mais pas plus qu’il n’est permis. Autour du Phallos couronnÈ, cent vingt femmes se balanÁaient en criant. Les initiÈes Ètaient en habits d’hommes, les autres en tunique fendue.

Les fumÈes des parfums, les fumÈes des torches, flottaient entre nous comme des nuÈes. Je pleurais ‡ larmes br˚lantes. Toutes, aux pieds de la Borbeia nous nous sommes jetÈes sur le dos.

Enfin, quand l’Acte religieux fut consommÈ, et quand, dans le Triangle Unique on eut plongÈ le phallos pourprÈ, alors le mystËre commenÁa, mais je n’en dirai pas davantage.

105 — LES COURTISANES …GYPTIENNES

Je suis allÈe avec Plango chez les courtisanes Ègyptiennes, tout en haut de la vieille ville. Elles ont des amphores de terre, des plateaux de cuivre et des nattes jaunes o˘ elles s’accroupissent sans effort.

Leurs chambres sont silencieuses, sans angles et sans encoignures, tant les couches successives de chaux bleue ont ÈmoussÈ les chapiteaux et arrondi le pied des murs.

Elles se tiennent immobiles, les mains posÈes sur les genoux. Quand elles offrent la bouillie elles murmurent: ´ Bonheur. ª Et quand on les remercie, elles disent: ´ Gr‚ce ‡ toi. ª

Elles comprennent le hellËne et feignent de le parler mal pour se rire de nous dans leur langue; mais nous, dent pour dent, nous parlons lydien et elles s’inquiËtent tout ‡ coup.

106 — JE CHANTE MA CHAIR ET MA VIE

Certes je ne chanterai pas les amantes cÈlËbres. Si elles ne sont plus, pourquoi en parler? Ne suis-je pas semblable ‡ elles? N’ai-je pas trop de songer ‡ moi-mÍme?

Je t’oublierai, PasiphaÎ, bien que ta passion f˚t extrÍme. Je ne te louerai pas, Syrinx ni toi, Byblis, ni toi, par la dÈesse entre toutes choisie, HÈlËne aux bras blancs!

Si quelqu’un souffrit, je ne le sens qu’‡ peine. Si quelqu’un aima, j’aime davantage. Je chante ma chair et ma vie, et non pas l’ombre stÈrile des amoureuses enterrÈes.

Reste couchÈ, Ù mon corps, selon ta mission voluptueuse! Savoure la jouissance
quotidienne et les passions sans lendemain. Ne laisse pas une joie inconnue aux regrets du jour de ta mort.

107 — LES PARFUMS

Je me parfumerai toute la peau pour attirer les amants. Sur mes belles jambes, dans un bassin d’argent, je verserai du nard de Tarsos et du metÙpiÙn d’Aigypte.

Sous mes bras, de la menthe crÈpue; sur mes cils et sur mes yeux, de la marjolaine de KÙs. Esclave, dÈfais ma chevelure et emplis-la de fumÈe d’encens.

Voici l’oÔnanthÍ des montagnes de Kypre; je la ferai couler entre mes seins; la liqueur de rose qui vient de PhasÍlis embaumera ma nuque et mes joues.

Et maintenant, rÈpands sur mes reins la bakkaris irrÈsistible. Il vaut mieux, pour une courtisane, connaÓtre les parfums de Lydie que les moeurs du PÈloponnËse.

108 — CONVERSATION

´ Bonjour. — Bonjour aussi. — Tu es bien pressÈe. — Peut-Ítre moins que tu ne penses. — Tu es une jolie fille. — Peut-Ítre plus que tu ne crois.

— Quel est ton nom charmant? — Je ne dis pas cela si vite. — Tu as quelqu’un ce soir? — Toujours celui qui m’aime. — Et comment l’aimes-tu? — Comme il veut.

— Soupons ensemble. — Si tu le dÈsires. Mais que donnes-tu? — Ceci. — Cinq drachmes? C’est pour mon esclave. Et pour moi?
— Dis toi-mÍme. — Cent.

— O˘ demeures-tu? — Dans cette maison bleue. — ¿ quelle heure veux-tu que je t’envoie chercher? — Tout de suite si tu veux. — Tout de suite. — Va devant. ª

109 — LA ROBE D…CHIR…E

´ Hol‡! par les deux dÈesses, qui est l’insolent qui a mis le pied sur ma
robe? — C’est un amoureux. — C’est un sot. — J’ai ÈtÈ maladroit, pardonne-moi.

— L’imbÈcile! ma robe jaune est toute dÈchirÈe par derriËre, et si je marche ainsi dans la rue, on va me prendre pour une
fille pauvre qui sert la Kypris inverse.

— Ne t’arrÍteras-tu pas? — Je crois qu’il me parle encore! — Me quitteras-tu ainsi f‚chÈe?… Tu ne rÈponds pas? HÈlas! je n’ose plus parler.

— Il faut bien que je rentre chez moi pour changer de robe. — Et je ne puis te suivre? — Qui est ton pËre? — C’est le riche armateur Nikias. — Tu as de beaux yeux, je te pardonne. ª

110 — LES BIJOUX

Un diadËme d’or ajourÈ couronne mon front Ètroit et blanc. Cinq chaÓnettes d’or, qui font le tour de mes joues et de mon menton, se suspendent aux cheveux par deux larges agrafes.

Sur mes bras qu’envierait Iris, treize bracelets d’argent s’Ètagent. Qu’ils sont lourds! Mais ce sont des armes; et je sais une ennemie qui en a souffert.

Je suis vraiment toute couverte d’or. Mes seins sont cuirassÈs de deux pectoraux d’or. Les images des dieux ne sont pas aussi riches que je le suis.

Et je porte sur ma robe Èpaisse une cointure lamÈe d’argent. Tu pourras y lire ce vers: ´ Aime-moi Èternellement; mais ne sois pas aflligÈ si je te trompe trois fois par jour. ª

111 — L’INDIFF…RENT

DËs qu’il est entrÈ dans ma chambre, quel qu’il soit (cela importe-t-il?): ´ Vois, dis-je ‡ l’esclave, quel bel homme! et qu’une courtisane est heureuse! ª

Je le dÈclare AdÙnis, ArËs ou HÈraklËs selon son visage, ou le Vieillard des Mers, si ses cheveux sont de p‚le argent. Et alors, quels dÈdains pour la jeunesse lÈgËre!

´ Ah! fais-je, si je n’avais pas demain ‡ payer mon fleuriste et mon orfËvre, comme j’aimerais ‡ te dire: Je ne veux pas de ton or! Je suis ta servante passionnÈe! ª

Puis, quand il a refermÈ ses bras sous mes Èpaules, je vois un batelier du port passer comme une image divine sur le ciel ÈtoilÈ de mes paupiËres transparentes.

112 — L’EAU PURE DU BASSIN

´ Eau pure du bassin, miroir immobile, dis-moi ma beautÈ. — ‘ Bilitis, ou qui que tu sois, TÈthys peut-Ítre ou AmphritritÍ, tu es belle, sache-le.

´ Ton visage se penche sous ta chevelure Èpaisse, gonflÈe de fleurs et de parfums. Tes paupiËres molles s’ouvrent ‡ peine et tes flancs sont las des mouvements de
l’amour.

´ Ton corps fatiguÈ du poids de tes seins porte les marques fines de l’ongle et les taches bleues du baiser. Tes bras sont
rougis par l’Ètreinte. Chaque ligne de ta peau fut aimÈe.

— Eau claire du bassin, ta fraÓcheur repose. ReÁois-moi, qui suis lasse en effet. Emporte le fard de mes joues, et la sueur de mon ventre et le souvenir de la nuit. ª

113 — LA F TE NOCTURNE (non traduite)

114 — VOLUPT…

Sur une terrasse blanche, la nuit, ils nous laissËrent Èvanouies dans les roses. La sueur chaude coulait comme des larmes, de nos aisselles sur nos seins. Une voluptÈ
accablante empourprait nos tÍtes renversÈes.

Quatre colombes captives, baignÈes dans quatre parfums, voletËrent au dessus de nous en silence. De leurs ailes, sur les femmes nues, ruisselaient des gouttes de senteur. Je fus inondÈe d’essence d’iris.

‘ lassitude! je reposai ma joue sur le ventre d’une jeune fille qui s’enveloppa de fraÓcheur avec ma chevelure humide. L’odeur de sa peau safranÈe enivrait ma bouche ouverte. Elle ferma sa cuisse sur ma nuque.

Je dormis, mais un rÍve Èpuisant m’Èveilla: l’iynx, oiseau des dÈsirs nocturnes, chantait Èperdument au loin. Je toussai avec un frisson. Un bras languissant comme une fleur s’Èlevait peu ‡ peu vers la lune, dans l’air.

115 — L’H‘TELLERIE

HÙtelier, nous sommes quatre. Donne-nous une chambre et deux lits. Il est trop tard maintenant pour rentrer ‡ la ville et la pluie a crevÈ la route.

Apporte une corbeille de figues, du fromage et du vin noir; mais Ùte d’abord mes sandales et lave-moi les pieds, car la boue me
chatouille.

Tu feras porter dans la chambre deux bassins avec de l’eau, une lampe pleine, un cratËre et des kylix. Tu secoueras les couvertures et tu battras les coussins.

Mais que les lits soient de bon Èrable et que les planches soient muettes! Demain tu ne nous rÈveilleras pas.

116 — LA DOMESTICIT…

Quatre esclaves gardent ma maison: deux Thraces robustes ‡ ma porte, un Sicilien ‡ ma cuisine et une Phrygienne docile et
muette pour le service de mon lit.

Les deux Thraces sont de beaux hommes. Ils ont un b‚ton ‡ la main pour chasser les amants pauvres et un marteau pour clouer sur le mur les couronnes que l’on m’envoie.

Le Sicilien est un cuisinier rare; je l’ai payÈ douze mines. Aucun autre ne sait
comme lui prÈparer des croquettes frites et des g‚teaux de coquelicots.

La Phrygienne me baigne, me coiffe et m’Èpile. Elle dort le matin dans ma chambre et pendant trois nuits, chaque mois, elle me remplace prËs de mes amants.

117 — LE TRIOMPHE DE BILITIS

Les processionnaires m’ont portÈe en triomphe, moi, Bilitis, toute nue sur un char en coquille o˘ des esclaves, pendant la nuit, avaient effeuillÈ dix mille roses.

J’Ètais couchÈe, les mains sous la nuque, mes pieds seuls Ètaient vÍtus d’or, et mon corps s’allongeait mollement, sur le lit de mes cheveux tiËdes mÍlÈs aux pÈtales frais.

Douze enfants, les Èpaules ailÈes, me servaient comme une dÈesse; les uns tenaient un parasol, les autres me mouillaient de parfums, ou br˚laient de l’encens ‡ la proue.

Et autour de moi j’entendais bruire la rumeur ardente de la foule, tandis que l’haleine des dÈsirs flottait sur ma nuditÈ, dans les brumes bleues des aromates.

118 — ¿ SES SEINS

Chairs en fleurs, Ù mes seins! que vous Ítes riches de voluptÈ! Mes seins dans mes mains, que vous avez de mollesses et de moelleuses chaleurs et de jeunes parfums!

Jadis, vous Ètiez glacÈs comme une poitrine de statue et durs comme d’insensibles
marbres. Depuis que vous flÈchissez je vous chÈris davantage, vous qui f˚tes aimÈs.

Votre forme lisse et renflÈe est l’honneur de mon torse brun. Soit que je vous emprisonne sous la rÈsille d’or, soit que je vous dÈlivre tout nus, vous me prÈcÈdez de votre splendeur.

Soyez donc heureux cette nuit. Si mes doigts enfantent des caresses, vous seuls le saurez jusqu’‡ demain matin; car, cette nuit, Bilitis a payÈ Bilitis.

119 — LIBERT… (non traduite)

120 — MYDZOURIS

Mydzouris, petite ordure, ne pleure plus. Tu es mon amie. Si ces femmes t’insultent encore, c’est moi qui leur rÈpondrai. Viens sous mon bras, et sËche tes yeux.

Oui, je sais que tu es une horrible enfant et que ta mËre t’apprit de bonne heure ‡ faire preuve de tous les courages. Mais tu es jeune et c’est pourquoi tu ne peux rien faire qui ne soit charmant.

La bouche d’une fille de quinze ans reste pure malgrÈ tout. Les lËvres d’une femme chenue, mÍme vierges, sont dÈgradÈes; car le seul opprobre est de vieillir et nous ne sommes flÈtries que par la ride.

Mydzouris, j’aime tes yeux francs, ton nom impudique et hardi, ta voix rieuse et ton corps lÈger. Viens chez moi, tu seras mon aide, et quand nous sortirons ensemble, les femmes te diront: Salut.

121 — LE BAIN

Enfant, garde bien la porte et ne laisse pas entrer les passants, car moi et six filles aux beaux bras nous nous baignons secrËtement dans les eaux tiËdes du bassin.

Nous ne voulons que rire et nager. Laisse les amants dans la rue. Nous tremperons nos jambes dans l’eau et, assises sur le bord du marbre, nous jouerons aux osselets.

Nous jouerons aussi ‡ la balle. Ne laisse pas entrer les amants; nos chevelures sont trop mouillÈes; nos gorges ont la chair de poule et le bout de nos doigts se ride.

D’ailleurs, il s’en repentirait, celui qui nous surprendrait nues! Bilitis n’est pas AthÍna, mais elle ne se montre qu’‡ ses heures et ch‚tie les yeux trop ardents.

122 — AU DIEU DE BOIS

‘ VÈnÈrable Priapos, dieu de bois que j’ai fait sceller dans le marbre du bord de mes bains, ce n’est pas sans raison, gardien des vergers, que tu veilles ici sur des
courtisanes.

Dieu, nous ne t’avons pas achetÈ pour te sacrifier nos virginitÈs. Nul ne peut donner ce qu’il n’a plus, et les zÈlatrices de Pallas ne courent pas les rues d’Amathonte.

Non. Tu veillais autrefois sur les chevelures des arbres, sur les fleurs bien arrosÈes, sur les fruits lourds et savoureux. C’est pourquoi nous t’avons choisi.

Garde aujourd’hui nos tÍtes blondes, les pavots ouverts de nos lËvres et les violettes de nos yeux. Garde les fruits durs de nos seins et donne-nous des amants qui te
ressemblent.

123 — LA DANSEUSE AUX CROTALES

Tu attaches ‡ tes mains lÈgËres tes crotales retentissants, Myrrhinidion ma chÈrie, et ‡ peine nue hors de la robe, tu Ètires tes membres nerveux. Que tu es jolie, les bras en l’air, les reins arquÈs et les seins rouges!

Tu commences: tes pieds l’un devant l’autre se posent, hÈsitent, et glissent mollement. Ton corps se plie comme une Ècharpe, tu caresses ta peau qui frissonne, et la voluptÈ inonde tes longs yeux Èvanouis.

Tout ‡ coup, tu claques des crotales! Cambre- toi sur les pieds dressÈs, secoue les reins, lance les jambes et que tes mains pleines de fracas appellent tous les dÈsirs en bande autour de ton corps tournoyant!

Nous, applaudissons ‡ grands cris, soit que, souriant sur l’Èpaule, tu agites d’un
frÈmissement ta croupe convulsive et musclÈe, soit que tu ondules presque Ètendue, au rhythme de tes souvenirs.

124 — LA JOUEUSE DE FL€TE

MÈlixÙ, les jambes serrÈes, le corps penchÈ, les bras en avant, tu glisses ta double fl˚te lÈgËre entre tes lËvres mouillÈes de vin, et tu joues au dessus de la couche o˘ TÈlÈas m’Ètreint encore.

Ne suis-je pas bien imprudente, moi qui loue une aussi jeune fille pour distraire mes heures laborieuses, moi qui la montre ainsi nue aux regards curieux de mes amants, ne suis-je pas inconsidÈrÈe?

Non, MÈlixÙ, petite musicienne, tu es une honnÍte amie. Hier tu ne m’as pas refusÈ de changer ta fl˚te pour une autre quand je dÈsespÈrais d’accomplir un amour plein de difficultÈs. Mais tu es s˚re.

Car je sais bien ‡ quoi tu penses. Tu attends la fin de cette nuit excessive qui t’anime cruellement en vain et au premier matin tu courras dans la rue, avec ton seul ami Psyllos, vers ton petit matelas dÈfoncÈ.

125 — LA CEINTURE CHAUDE

´ Tu crois que tu ne m’aimes plus, TÈlÈas, et depuis un mois tu passes tes nuits ‡ table, comme si les fruits, les vins, les miels pouvaient te faire oublier ma bouche. Tu crois que tu ne m’aimes plus, pauvre fou! ª

Disant cela, j’ai dÈnouÈ ma ceinture en moiteur et je l’ai roulÈe autour de sa tÍte. Elle Ètait toute chaude encore de la chaleur de mon ventre; le parfum de ma peau sortait de ses mailles fines.

Il la respira longuement, les yeux fermÈs, puis je sentis qu’il revenait ‡ moi et je vis mÍme trËs clairement ses dÈsirs rÈveillÈs qu’il ne me cachait point, mais, par ruse, je sus rÈsister.

´ Non, mon ami. Ce soir, Lysippos me possËde. Adieu! ª Et j’ajoutai en m’enfuyant: ´ ‘ gourmand de fruits et de lÈgumes! le petit jardin de Bilitis n’a qu’une figue, mais elle est bonne. ª

126 — ¿ UN MARI HEUREUX

Je t’envie, AgorakritËs, d’avoir une femme aussi zÈlÈe. C’est elle-mÍme qui soigne l’Ètable, et le matin, au lieu de faire l’amour elle donne ‡ boire aux bestiaux.

Tu t’en rÈjouis. Que d’autres, dis-tu, ne songent qu’aux voluptÈs basses, veillent la nuit, dorment le jour et demandent encore ‡ l’adultËre une satiÈtÈ criminelle.

Oui; ta femme travaille ‡ l’Ètable. On dit mÍme qu’elle a mille tendresses pour le plus jeune de tes ‚nes. Ah! Ha! c’est un bel animal! Il a une touffe noire sur les yeux.

On dit qu’elle joue entre ses pattes, sous son ventre gris et doux… Mais ceux qui disent cela sont des mÈdisants. Si ton ‚ne lui plaÓt, AgorakritËs, c’est que son regard sans doute lui rappelle le tien.

127 — ¿ UN …GAR…

L’amour des femmes est le plus beau de tous ceux que les mortels Èprouvent, et tu penserais ainsi, KlÈÙn, si tu avais l’‚me vraiment voluptueuse; mais tu ne rÍves que vanitÈs.

Tu perds tes nuits ‡ chÈrir les ÈphËbes qui nous mÈconnaissent. Regarde-les donc! Qu’ils sont laids! Compare ‡ leurs tÍtes rondes nos chevelures immenses; cherche nos seins blancs sur leurs poitrines.

¿ cÙtÈ de leurs flancs Ètroits, considËre nos hanches luxuriantes, large couche creusÈe pour l’amant. Dis enfin quelles lËvres humaines, sinon celles qu’ils voudraient avoir, Èlaborent les voluptÈs?

Tu es malade, Ù KlÈÙn, mais une femme te peut guÈrir. Va chez la jeune Satyra, la fille de ma voisine GorgÙ. Sa croupe est une rose au soleil, et elle ne te refusera pas le plaisir qu’elle-mÍme prÈfËre.

128 — TH…RAPEUTIQUE

‘ AsklÍpios, sois-moi propice, Ù dieu de la santÈ divine, le jour o˘ l’Èternelle nuit noire menacera mes yeux effrayÈs; car le poison de ma beautÈ, un jour, a servi de remËde.

On m’avait mandÈe en costume dans la chambre d’un jeune homme que les femmes ne tentaient point. Des caleÁons crevÈs se collaient ‡ mes cuisses, et mes seins jaillissaient nus d’une brassiËre brodÈe d’or.

J’ai dansÈ selon le rite au son des crotales, les douze dÈsirs d’AphroditÍ. Et voici que l’amour est entrÈ en lui tout ‡ coup, et sur le lit de sa virginitÈ j’ai recommencÈ toute la danse.

´ Tu sais te faire aimer, disait-il, mais tu n’en es pas Èmue. Que faut-il faire pour que tu m’aimes? ª Je le regardai plus
loin que les yeux et je lui dis avec lenteur: ´ T’imaginer que tu es femme. ª

129 — LA COMMANDE

´ Vieille, Ècoute-moi. Je donne un festin dans trois jours. Il me faut un divertissement. Tu me loueras toutes tes filles. Combien en as-tu et que savent-elles faire?

— J’en ai sept. Trois dansent la kordax avec l’Ècharpe et le phallos. NÈphÈlÍ aux aisselles lisses mimera l’amour de la
colombe entre ses seins couleur de roses.

Une chanteuse en pÈplos brodÈ chantera des chansons de Rhodes, accompagnÈe par deux aulÈtrides qui auront des guirlandes de myrte enroulÈes ‡ leurs jambes brunes.

— C’est bien. Qu’elles soient ÈpilÈes de frais, lavÈes et parfumÈes des pieds ‡ la tÍte, prÍtes ‡ d’autres jeux si on les leur demande. Va donner les ordres. Adieu. ª

130 — LA FIGURE DE PASIPHAÀ

Dans une dÈbauche que deux jeunes gens et des courtisanes firent chez moi, o˘ l’amour ruissela comme le vin, Damalis, pour fÍter son nom, dansa la Figure de Pasiphae.

Elle avait fait faire ‡ KitiÙn deux masques de vache et de taureau, pour elle et pour KharmantidËs. Elle portait des cornes
terribles, et une queue vÈritable ‡ son caleÁon de cuir.

Les autres femmes menÈes par moi, tenant des fleurs et des flambeaux, nous tournions sur nous-mÍmes avec des cris, et nous caressions Damalis du bout de nos chevelures pendantes.

Ses mugissements et nos chants et les danses effrÈnÈes ont durÈ plus que la nuit. La chambre vide est encore chaude. Je regarde mes mains rougies et les canthares de Khios o˘ nagent des roses.

131 — LA JONGLEUSE

Quand la premiËre aube se mÍla aux lueurs affaiblies des flambeaux, je fis entrer dans l’orgie une joueuse de fl˚te vicieuse et agile, qui tremblait un peu, ayant froid.

Louez la petite fille aux paupiËres bleues, aux cheveux courts, aux seins aigus, vÍtue seulement d’une ceinture, d’o˘ pendaient des rubans jaunes et des tiges d’iris noirs.

Louez-la! car elle fut adroite et fit des tours difficiles. Elle jonglait avec des cerceaux, sans rien casser dans la salle, et se glissait au travers comme une sauterelle.

Parfois elle faisait la roue sur les mains et sur les pieds. Ou bien les deux bras en l’air et les genoux ÈcartÈs elle se courbait ‡ la renverse et touchait la terre en riant.

132 — LA DANSE DES FLEURS

Anthis, danseuse de Lydie, a sept voiles autour d’elle. Elle dÈroule le voile jaune, sa chevelure noire se rÈpand. Le voile rose glisse de sa bouche. Le voile blanc tombÈ laisse voir ses bras nus.

Elle dÈgage ses petits seins du voile rouge qui se dÈnoue. Elle abaisse le voile vert de sa croupe jusqu’aux pieds. Elle tire le voile bleu de ses Èpaules, mais elle presse sur sa pudeur le dernier voile transparent.

Les jeunes gens la supplient: elle secoue la tÍte en arriËre. Au son des fl˚tes seulement, elle le dÈchire un peu, puis tout ‡ fait, et, avec les gestes de la danse, elle cueille les fleurs de son corps,

En chantant: ´ O˘ sont mes roses? o˘ sont mes violettes parfumÈes? O˘ sont mes touffes de persil? — Voil‡ mes roses, je vous les donne. Voil‡ mes violettes, en voulez-vous? Voil‡ mes beaux persils frisÈs. ª

133 — LA DANSE DE SATYRA (non traduite)

134 — MYDZOURIS COURONN…E (non traduite)

135 — LA VIOLENCE

Non, tu ne me prendras pas de force, n’y compte pas, Lamprias. Si tu as entendu dire qu’on a violÈ Parthenis, sache qu’elle y a mis du sien, car on ne jouit pas de nous sans y Ítre invitÈ.

Oh! va de ton mieux, fais des efforts, c’est manquÈ. Je me dÈfends ‡ peine, cependant. Je n’appellerai pas au secours. Et je ne lutte mÍme pas; mais je bouge. Pauvre ami, c’est manquÈ encore.

Continue. Ce petit jeu m’amuse. D’autant que je suis s˚re de vaincre. Encore un essai malheureux, et peut-Ítre tu seras moins disposÈ ‡ me prouver tes dÈsirs Èteints.

Bourreau, que fais-tu! Chien! tu me brises les poignets! et ce genou qui m’Èventre! Ah! va, maintenant, c’est une belle victoire, que de ravir ‡ terre une jeune fille en larmes.

136 — CHANSON

Le premier me donna un collier, un collier de perles qui vaut une ville, avec les palais et les temples, et les trÈsors et les esclaves.

Le second fit pour moi des vers. Il disait que mes cheveux sont noirs comme ceux de la nuit sur la mer et mes yeux bleus comme ceux du matin.

Le troisiËme Ètait si beau que sa mËre ne l’embrassait pas sans rougir. Il mit ses mains sur mes genoux, et ses lËvres sur mon pied nu.

Toi, tu ne m’as rien dit. Tu ne m’as rien donnÈ, car tu es pauvre. Et tu n’es pas beau, mais c’est toi que j’aime.

137 — CONSEILS ¿ UN AMANT

Si tu veux Ítre aimÈ d’une femme, Ù jeune ami, quelle qu’elle soit, ne lui dis pas que tu la veux, mais fais qu’elle te voie tous les jours, puis disparais, pour revenir.

Si elle t’adresse la parole, sois amoureux sans empressement. Elle viendra d’elle-mÍme ‡ toi. Sache alors la prendre de force, le jour o˘ elle entend se donner.

Quand tu la recevras dans ton lit, nÈglige ton propre plaisir. Les mains d’une femme amoureuse sont tremblantes et sans caresses. Dispense-les d’Ítre zÈlÈes.

Mais toi, ne prends pas de repos. Prolonge les baisers ‡ perte d’haleine. Ne la laisse pas dormir, mÍme si elle t’en prie. Baise toujours la partie de son corps vers laquelle elle tourne les yeux.

138 — LES AMIES ¿ DŒNER

MyromÍris et MaskhalÍ, mes amies, venez avec moi, car je n’ai pas d’amant ce soir, et, couchÈes sur des lits de byssos, nous
causerons autour du dÓner.

Une nuit de repos vous fera du bien: vous dormirez dans mon lit, mÍme sans fards et mal coiffÈes. Mettez une simple tunique de laine et laissez vos bijoux au coffre.

Nul ne vous fera danser pour admirer vos jambes et les mouvements lourds de vos reins. Nul ne vous demandera les Figures sacrÈes, pour juger si vous Ítes amoureuses.

Et je n’ai pas commandÈ, pour nous, deux joueuses de fl˚te aux belles bouches, mais deux marmites de pois rissolÈs, des g‚teaux au miel, des croquettes frites et ma derniËre outre de Khios.

139 — LE TOMBEAU D’UNE JEUNE COURTISANE

Ici gÓt le corps dÈlicat de LydÈ, petite colombe, la plus joyeuse de toutes les
courtisanes, qui plus que toute autre aima les orgies, les cheveux flottants, les danses molles et les tuniques d’hyacinthe.

Plus que toute autre elle aima les glottismes savoureux, les caresses sur la joue, les jeux que la lampe voit seule et l’amour qui brise les membres. Et maintenant, elle est une petite ombre.

Mais avant de la mettre au tombeau, on l’a merveilleusement coiffÈe et on l’a couchÈe dans les roses; la pierre mÍme qui la recouvre est tout imprÈgnÈe d’essences et de parfums.

Terre sacrÈe, nourrice de tout, accueille doucement la pauvre morte, endors-la dans tes bras Ù MËre! et fais pousser autour de la stËle, non les orties et les ronces, mais les faibles violettes blanches.

140 — LA PETITE MARCHANDE DE ROSES

Hier, m’a dit NaÔs, j’Ètais sur la place, quand une petite fille en loques rouges a passÈ, portant des roses, devant un groupe de jeunes gens. Et voici ce que j’ai entendu:

´ Achetez-moi quelque chose. — Explique-toi, petite, car nous ne savons ce que tu vends: toi? tes roses? ou tout ‡ la fois? — Si vous m’achetez toutes mes fleurs, vous aurez la vendeuse pour rien.

— Et combien veux-tu de tes roses? — Il faut six oboles ‡ ma mËre ou bien je serai battue comme une chienne. — Suis-nous. Tu auras une drachme. — Alors je vais chercher ma petite soeur? ª

Cette enfant n’est pas courtisane, Bilitis, nul ne la connaÓt. Vraiment n’est-ce pas un scandale et tolÈrerons-nous que ces filles viennent salir dans la journÈe les lits qui nous attendent le soir?

141 — LA DISPUTE

Ah! par l’Aphrodita, te voil‡! tÍte de sang! pourriture! empuse! stÈrile! carcan! gauchËre! digne de rien! mauvaise truie! N’essaie pas de me fuir, mais approche et plus prËs encore.

Voyez-moi cette femme de matelots, qui ne sait pas mÍme plisser son vÍtement sur l’Èpaule et qui met de si mauvais fard que le noir de ses sourcils coule sur sa joue en ruisseaux d’encre!

Tu es PhoÔnikienne: couche avec ceux de ta race. Pour moi, mon pËre Ètait HellËne: j’ai droit sur tous ceux qui portent le pÈtase. Et mÍme sur les autres, s’il me plaÓt ainsi.

Ne t’arrÍte plus dans ma rue, ou je t’enverrai dans l’HadËs faire l’amour avec KharÙn, et je dirai trËs justement: ´ Que la terre te soit lÈgËre! ª pour que les chiens puissent te dÈterrer.

142 — M…LANCOLIE

Je frissonne; la nuit est fraÓche, et la forÍt toute mouillÈe. Pourquoi m’as-tu conduite ici? mon grand lit n’est-il pas plus
doux que cette mousse semÈe de pierres?

Ma robe ‡ fleurs aura des taches de verdure; mes cheveux seront mÍlÈs de brindilles; mon coude, regarde mon coude, comme
il est dÈj‡ souillÈ de terre humide.

Autrefois pourtant, je suivais dans les bois celui… Ah! laisse-moi quelque temps. Je suis triste, ce soir. Laisse-moi, sans parler, la main sur les yeux.

En vÈritÈ, ne peux-tu attendre! sommes nous des bÍtes brutes pour nous prendre ainsi! Laisse-moi. Tu n’ouvriras ni mes genoux ni mes lËvres. Mes yeux mÍmes, de peur de pleurer, se ferment.

143 — LA PETITE PHANI‘N

…tranger, arrÍte-toi, regarde qui t’a fait signe: c’est la petite PhaniÙn de KÙs, elle mÈrite que tu la choisisses.

Vois, ses cheveux frisent comme du persil, sa peau est douce comme un duvet d’oiseau. Elle est petite et brune. Elle parle bien.

Si tu veux la suivre, elle ne te demandera pas tout l’argent de ton voyage; non, mais une drachme ou une paire de chaussures.

Tu trouveras chez elle un bon lit, des figues fraÓches, du lait, du vin, et, s’il fait froid, il y aura du feu.

144 — INDICATIONS

S’il te faut, passant qui t’arrÍtes, des cuisses ÈlancÈes et des reins nerveux, une gorge dure, des genoux qui Ètreignent, va chez PlangÙ, c’est mon amie.

Si tu cherches une fille rieuse, avec des seins exubÈrants, la taille dÈlicate, la croupe grasse et les reins creusÈs, va jusqu’au coin de cette rue, o˘ demeure Spidorrhodellis.

Mais si les longues heures tranquilles dans les bras d’une courtisane, la peau douce, la chaleur du ventre et l’odeur des cheveux te plaisent, cherche MiltÙ, tu seras content.

N’espËre pas beaucoup d’amour; mais profite de son expÈrience. On peut tout demander ‡ une femme, quand elle est nue, quand il fait nuit, et quand les cent drachmes sont sur le foyer.

145 — LE MARCHAND DE FEMMES

´ Qui est l‡? — Je suis le marchand de femmes. Ouvre la porte, SÙstrata, je te prÈsente deux occasions. Celle-ci d’abord. Approche, Anasyrtolis, et dÈfais-toi. — Elle est un peu grosse.

— C’est une beautÈ. De plus, elle danse la kordax et elle sait quatre-vingts
chansons. — Tourne-toi. LËve les bras. Montre tes cheveux. Donne le pied. Souris. C’est bien.

— Celle-ci, maintenant. — Elle est trop jeune! — Non pas, elle a eu douze ans
avant-hier, et tu ne lui apprendrais plus rien. — Ote ta tunique. Voyons? Non, elle est maigre.

— Je n’en demande qu’une mine. — Et la premiËre? — Deux mines trente. — Trois mines les deux? — C’est dit. — Entrez l‡ et lavez-vous. Toi, adieu. ª

146 — L’…TRANGER

…tranger, ne va pas plus loin dans la ville. Tu ne trouveras ailleurs que chez moi des filles plus jeunes ni plus expertes. Je suis SÙstrata, cÈlËbre au del‡ de la mer.

Vois celle-ci dont les yeux sont verts comme l’eau dans l’herbe. Tu n’en veux pas? Voici d’autres yeux qui sont noirs comme la violette, et une chevelure de trois coudÈes.

J’ai mieux encore. XanthÙ, ouvre ta cyclas. …tranger, ses seins sont durs comme le coing, touche-les. Et son beau ventre, tu le voie, porte les trois plis de Kypris.

Je l’ai achetÈe avec sa soeur, qui n’est pas d’‚ge ‡ aimer encore, mais qui la seconde utilement. Par les deux dÈesses! tu es de race noble. Phyllis et XanthÙ, suivez le chevalier!

147 — PHYLLIS (non traduite)

148 — LE SOUVENIR DE MNASIDIKA

Elles dansaient l’une devant l’autre, d’un mouvement rapide et fuyant; elles semblaient toujours vouloir s’enlacer, et pourtant ne se touchaient point, si ce n’est du bout des lËvres.

Quand elles tournaient le dos en dansant, elles se regardaient, la tÍte sur l’Èpaule, et la sueur brillait sous leurs bras levÈs, et leurs chevelures fines passaient devant leurs seins.

La langueur de leurs yeux, le feu de leurs joues, la gravitÈ de leurs visages, Ètaient trois chansons ardentes. Elles se frÙlaient furtivement, elles pliaient leurs corps sur les hanches.

Et tout ‡ coup, elles sont tombÈes, pour achever ‡ terre la danse molle… Souvenir de Mnasidika, c’est alors que tu m’apparus, et tout, hors ta chËre image, me fut importun.

149 — LA JEUNE M»RE

Ne crois pas, MyromÍris, que, d’avoir ÈtÈ mËre, tu sois moindre en beautÈ. Voici que ton corps sous la robe a noyÈ ses formes grÍles dans une voluptueuse mollesse.

Tes seins sont deux vastes fleurs renversÈes sur ta poitrine, et dont la queue coupÈe nourrit une sËve laiteuse. Ton ventre
plus doux dÈfaille sous la main.

Et maintenant considËre la toute petite enfant qui est nÈe du frisson que tu as eu un soir dans les bras d’un passant dont tu ne sais plus le nom. RÍve ‡ sa lointaine destinÈe.

Ces yeux qui s’ouvrent ‡ peine s’allongeront un jour d’une ligne de fard noir, et ils sËmeront aux hommes la douleur ou la joie, d’un mouvement de leurs cils.

150 — L’INCONNU

Il dort. Je ne le connais pas. Il me fait horreur. Pourtant sa bourse est pleine d’or et il a donnÈ ‡ l’esclave quatre drachmes en entrant. J’espËre une mine pour moi-mÍme.

Mais j’ai dit ‡ la Phrygienne d’entrer au lit ‡ ma place. Il Ètait ivre et l’a prise pour moi. Je serais plutÙt morte dans les
supplices que de m’allonger prËs de cet homme.

HÈlas! je songe aux prairies de Tauros… J’ai ÈtÈ une petite vierge… Alors, j’avais la poitrine lÈgËre, et j’Ètais si folle d’envie amoureuse que je haÔssais mes soeurs mariÈes.

Que ne faisais-je pas pour obtenir ce que j’ai refusÈ cette nuit! Aujourd’hui mes mamelles se plient, et dans mon coeur trop usÈ, ErÙs s’endort de lassitude.

151 — LA DUPERIE

Je m’Èveille… Est-il donc parti? Il a laissÈ quelque chose? Non: deux amphores vides et des fleurs souillÈes. Tout le tapis est rouge de vin.

J’ai dormi, mais je suis encore ivre… Avec qui donc suis-je rentrÈe?… Pourtant nous nous sommes couchÈs. Le lit est mÍme trempÈ de sueur.

Peut-Ítre Ètaient-ils plusieurs; le lit est si bouleversÈ. Je ne sais plus… Mais on les a vus! Voil‡ ma Phrygienne. Elle dort encore en travers de la porte.

Je lui donne un coup de pied dans la poitrine et je crie: ´ Chienne, tu ne pouvais pas… ª Je suis si enrouÈe que je ne puis parler.

152 — LE DERNIER AMANT

Enfant, ne passe pas sans m’avoir aimÈe. Je suis encore belle, dans la nuit; tu verras combien mon automne est plus chaud que le printemps d’une autre.

Ne cherche pas l’amour des vierges. L’amour est un art difficile o˘ les jeunes filles sont peu versÈes. Je l’ai appris toute ma vie pour le donner ‡ mon dernier amant.

Mon dernier amant, ce sera toi, je le sais. Voici ma bouche, pour laquelle un peuple a p‚li de dÈsir. Voici mes cheveux, les mÍmes cheveux que Psappha la Grande a chantÈs.

Je recueillerai en ta faveur tout ce qu’il m’est restÈ de ma jeunesse perdue. Je br˚lerai les souvenirs eux-mÍmes. Je te donnerai la fl˚te de Lykas, la ceinture de Mnasidika.

153 — LA COLOMBE

Depuis longtemps dÈj‡ je suis belle; le jour vient o˘ je ne serai plus femme. Et alors je connaÓtrai les souvenirs dÈchirants, les br˚lantes envies solitaires et les larmes dans les mains.

Si la vie est un long songe, ‡ quoi bon lui rÈsister? Maintenant, quatre et cinq fois la nuit je demande la jouissance amoureuse, et quand mes flancs sont ÈpuisÈs je m’endors o˘ mon corps retombe.

Au matin, j’ouvre les paupiËres et je frissonne dans mes cheveux. Une colombe est sur ma fenÍtre; je lui demande en quel mois nous sommes. Elle me dit: ´ C’est le mois o˘ les femmes sont en amour. ª

Ah! quel que soit le mois, la colombe dit vrai, Kypris! Et je jette mes deux bras autour de mon amant, et avec de grands
tremblements j’Ètire jusqu’au pied du lit mes jambes encore engourdies.

154 — LA PLUIE AU MATIN

La nuit s’efface. Les Ètoiles s’Èloignent. Voici que les derniËres courtisanes sont rentrÈes avec les amants. Et moi, dans la pluie du matin, j’Ècris ces vers sur le