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  • 1829
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LE DUC DE GUISE

Et de redresseur de torts, monsieur le comte.

HENRI

En effet, mon beau cousin, cet habit me paraåt bien chaud pour le temps qui court.

LE DUC DE GUISE

C’est que, pour le temps qui court, sire, mieux vaut une cuirasse d’acier qu’un justaucorps de satin.

SAINT-MEGRIN

M. le duc croit toujours entendre la balle de Poltrot siffler Ö ses oreilles.

LE DUC DE GUISE

Quand les balles m’arrivent en face, monsieur le comte (montrant sa blessure Ö la joue), voilÖ qui fait foi que je ne dÇtourne pas la tàte pour les Çviter.

JOYEUSE, prenant sa sarbacane

C’est ce que nous allons voir…

SAINT-MEGRIN, lui arrachant la sarbacane

Attends!…il ne sera pas dit qu’un autre que moi en aura fait l’expÇrience. (Lui envoyant une dragÇe au milieu de la poitrine) A vous, monsieur le duc.

TOUS

Bravo! bravo!

LE DUC DE GUISE, portant la main Ö son poignard

MalÇdiction! (Saint-Paul l’arràte)

SAINT-PAUL

Qu’allez-vous faire!…

HENRI

Par la mort-Dieu! mon cousin de Guise, j’aurais cru que cette belle et bonne cuirasse de Milan Çtait Ö l’Çpreuve de la balle…

LE DUC DE GUISE

Et vous aussi, sire!…Qu’ils rendent grÉce Ö la prÇsence de Votre MajestÇ.

HENRI

Oh! qu’Ö cela ne tienne, monsieur le duc, qu’Ö cela ne tienne; agissez comme si nous n’y Çtions pas…

LE DUC DE GUISE

Votre MajestÇ permet donc que je descende jusqu’Ö lui?…

HENRI

Non, monsieur le duc; mais je puis l’Çlever jusqu’Ö vous…Nous trouverons bien, dans notre beau royaume de France, un fief vacant, pour en doter notre fidäle sujet le comte de Saint-MÇgrin.

LE DUC DE GUISE

Vous en àtes le maÃ¥tre, sire…Mais d’ici lÖ?…

HENRI

Eh bien, nous ne vous ferons pas attendre…Comte Paul Estuert, nous te faisons marquis de Caussade.

LE DUC DE GUISE

Je suis duc, sire.

HENRI

Comte Paul Estuert, marquis de Caussade, nous te faisons duc de Saint-MÇgrin; et maintenant, monsieur de Guise, rÇpondez-lui…car il est votre Çgal.

SAINT-MEGRIN

Merci, sire, merci; je n’ai pas besoin de cette nouvelle faveur; et, puisque Votre MajestÇ ne s’y oppose pas, je veux le dÇfier de maniäre Ö ce qu’il s’ensuive combat ou dÇshonneur…Or, Çcoutez, messieurs: moi, Paul Estuert, seigneur de Cassade, comte de Saint-MÇgrin, Ö toi, Henri de Lorraine, duc de Guise; prenons Ö tÇmoin tous ceux ici prÇsents, que nous te dÇfions au combat Ö outrance, toi et tous les princes de ta maison, soit Ö l’ÇpÇe seule, soit Ö la dague et au poignard, tant que le coeur battra au corps, tant que la lame tiendra Ö la poignÇe; renonáant d’avance Ö ta merci, comme tu dois renoncer Ö la mienne; et, sur ce, que Dieu et Saint Paul me soient en aide! (Jetant son gant) A toi seul, ou Ö plusieurs!

D’EPERNON

Bravo, Saint-MÇgrin! bien dÇfiÇ.

LE DUC DE GUISE, montrant le gant.

Saint Paul…

BUSSY D’AMBOISE

Un instant, messieurs!…un instant! Moi, Louis de Clermont, seigneur de Bussy d’Amboise, me dÇclare ici parrain et second de Paul Estuert de Saint-MÇgrin; offrant le combat Ö outrance Ö quiconque se dÇclarera parrain et second de Henri de Lorraine, duc de Guise; et, comme signe de dÇfi et gage du combat, voici mon gant.

JOYEUSE

Vive-Dieu! Bussy, c’est un vÇritable vol que tu me fais…tu ne m’as pas donnÇ le temps…Mais sois tranquille, si tu es tuÇ…

LE DUC DE GUISE

Saint-Paul! (A part) Tu me provoques trop tard, ton sort est dÇcidÇ. (Haut) Antraguet, tu seras mon second…Vous le voyez, messieurs, je vous fais beau jeu: je vous offre un moyen de venger QuÇlus… Saint-Paul, tu prÇpareras mon ÇpÇe de bal; elle est juste de la màme longueur que l’ÇpÇe de combat de ces messieurs.

SAINT-MEGRIN

Vous avez raison, monsieur le duc: cette ÇpÇe serait bien faible pour entamer une cuirasse aussi prudemment solide que celle-ci…Mais nous pouvons en venir aux mains, nus jusqu’Ö la ceinture, monsieur le duc, et l’on verra celui dont le coeur battra.

HENRI

Assez, messieurs,, assez! nous honorerons le combat de notre prÇsence, et nous le fixons Ö demain…Maintenant, chacun de vous peut rÇclamer un don, et, s’il est en notre puissance royale de vous l’accorder, vous serez satisfaits Ö l’instant…Que veux-tu, Saint-MÇgrin?

SAINT-MEGRIN

Un Çgal partage du terrain et du soleil; pour le reste, je m’en rapporte Ö Dieu et Ö mon ÇpÇe.

HENRI

Et vous, monsieur le duc, que demandez-vous?

LE DUC DE GUISE

La promesse formelle qu’avant le combat Votre MajestÇ reconnaÃ¥tra la Ligue, et nommera son chef. J’ai dit.

HENRI

Quoique nous ne nous attendissions pas Ö cette demande, nous vous l’octroyons, mon beau cousin…Messieurs, puisque M. de Guise nous y force, au lieu du bal masquÇ de cette nuit, nous aurons un conseil d’Etat…Je vous y convoque tous, messieurs. Quant aux deux champions, nous les invitons Ö profiter de cet intervalle, pour bien songer au salut de leur Éme. Allez, messieurs, allez.

SCENE V

HENRI, CATHERINE

HENRI

Eh bien, ma märe, vous devez àtre contente, vos deux grands ennemis vont se dÇtruire eux-màmes, et vous devez m’en remercier; car j’ai autorisÇ un combat que j’aurais pu empàcher.

CATHERINE

Auriez-vous agi ainsi, mon fils, si vous eussiez su qu’une des conditions de ce combat serait de nommer un chef Ö la Ligue?

HENRI

Non, sur mon Éme, ma märe; je comptais sur une diversion.

CATHERINE

Et vous avez rÇsolu?

HENRI

Rien encore, car les chances du combat sont incertaines…Si M. de Guise Çtait tuÇ,…eh bien, on enterrerait la Ligue avec son chef; s’il ne l’Çtait pas,…alors je prierais Dieu de m’Çclairer…Mais, en tout cas, ma rÇsolution une fois prise, je vous en avertis, rien ne m’en fera changer…La vue de mon trìne me donne de temps en temps des envies d’àtre roi, ma märe, et je suis dans un de ces moments-lÖ.

CATHERINE

Eh! mon fils, qui plus que moi dÇsire vous voir une volontÇ ferme et puissante?…Miron me recommande le repos. Et, plus que jamais, je dÇsire n’avoir aucune part du fardeau de l’Etat.

HENRI

Si je ne m’abuse, ma märe, j’ai vu s’Çtendre aujourd’hui vers mon trìne un bras bardÇ de fer qui avait volontÇ de me dÇbarrasser d’une partie, si ce n’est du tout.

CATHERINE

Et probablement vous lui accorderez ce qu’il demande, car ce chef que la Ligue exige par sa voix…

HENRI

Oui, oui, j’ai bien vu qu’il plaidait pour lui-màme; et peut-àtre, ma märe, m’Çpargnerais-je bien des tourments en m’abandonnant Ö lui… comme l’a fait mon fräre Franáois II, apräs la conjuration d’Amboise… Et cependant, je n’aime pas qu’on vienne me prier armÇ comme l’Çtait mon cousin de Guise; les genoux plient mal dans des cuissards d’acier.

CATHERINE

Et jamais votre cousin de Guise n’a pliÇ le genou devant vous, qu’il n’ait, en se relevant, emportÇ un morceau de votre manteau royal.

HENRI

Par la mort-Dieu! il n’a jamais forcÇ notre volontÇ, cependant…Ce que nous lui avons accordÇ a toujours ÇtÇ de notre plein grÇ…et, cette fois encore, si nous le nommons chef de la Ligue, ce sera un devoir que nous lui imposerons comme son maÃ¥tre.

CATHERINE

Tous ces devoirs le rapprochent du trìne, mon fils!…et malheur… malheur Ö vous, s’il met jamais le pied sur le velours de la premiäre marche!

HENRI

Ce que vous dites lÖ, ma märe, l’appuyeriez-vous sur quelques raisons?

CATHERINE

Cette Ligue, que vous allez autoriser, savez-vous quel est son but?…

HENRI

De soutenir l’autel et le trìne.

CATHERINE

C’est du moins ce que dit votre cousin de Guise; mais du moment qu’un sujet se constitue, de sa propre autoritÇ, dÇfenseur de son roi, mon fils,…il n’est pas loin d’àtre un rebelle.

HENRI

M. le duc aurait-il de si coupables desseins?

CATHERINE

Les circonstances l’accusent, du moins…HÇlas! mon fils, je ne puis veiller sur vous comme je le faisais autrefois, et cependant, peut-àtre aurai-je encore le bonheur de dÇjouer un grand complot.

HENRI

Un complot! on conspirerait contre moi?…Dites, dites, ma märe… Quel est ce papier?…

CATHERINE

Un agent du duc de Guise, l’avocat Jean David, est mort Ö Lyon… Son valet Çtait un homme Ö moi; tous ses papiers m’ont ÇtÇ envoyÇs, celui-ci en faisait partie.

HENRI

Voyons, ma märe, voyons…(Apräs avoir jetÇ un coup d’oeil sur le papier) Comment! un traitÇ entre don Juan d’Autriche et le duc de Guise!…un traitÇ par lequel ils s’engagent Ö s’aider mutuellement Ö monter, l’un sur le trìne des Pays-Bas, l’autre sur le trìne de France! Sur le trìne de France? que comptaient-ils donc faire de moi, ma märe?…

CATHERINE

Voyez le dernier article de l’acte d’association des ligueurs, car le voici tel…non pas que vous le connaissez, mon cher Henri, mais tel qu’il a ÇtÇ prÇsentÇ Ö la sanction du saint-päre, qui a refusÇ de l’approuver.

HENRI, lisant

ÆPuis, quand le duc de Guise aura exterminÇ les huguenots, se sera rendu maÃ¥tre des principales villes du royaume, et que tout pliera sous la puissance de la Ligue, il fera faire le procäs Ö Monsieur, comme Ö un fauteur manifeste des hÇrÇtiques, et, apräs avoir rasÇ le roi et l’avoir confinÇ dans un couvent…Ø Dans un couvent!…Ils veulent m’ensevelir dans un cloÃ¥tre!…

CATHERINE

Oui, mon fils; ils disent que c’est lÖ que votre derniäre couronne vous attend…

HENRI

Ma märe, est-ce que Monsieur le duc l’oserait?

CATHERINE

PÇpin a fondÇ une dynastie, mon fils: et qu’a donnÇ PÇpin Ö ChildÇric, en Çchange de son manteau royal?…

HENRI

Un cilice, ma märe; un cilice, je le sais; mais les temps sont changÇs; pour arriver au trìne de France, il faut que la naissance y donne des droits.

CATHERINE

Ne peut-on en supposer?…Voyez cette gÇnÇalogie.

HENRI

La maison de Lorraine remonterait Ö Charlemagne: Cela n’est pas, vous savez bien que cela n’est pas.

CATHERINE

Vous voyez que les mesures sont prises pour qu’on croie que cela est.

HENRI

Ah! notre cousin de Guise, vous en voulez terriblement Ö notre belle couronne de France…Ma märe, ne pourrait-on pas le punir d’oser y prÇtendre sans notre permission?

CATHERINE

Je vous comprends, mon fils; mais ce n’est pas le tout de couper, il faut recoudre.

HENRI

Mais il se bat demain avec Saint-MÇgrin. Saint-MÇgrin est brave et adroit.

CATHERINE

Et croyez-vous que le duc de Guise soit moins brave et moins adroit que lui?

HENRI

Ma märe, si nous faisions bÇnir l’ÇpÇe de Saint-MÇgrin…

CATHERINE

Mon fils, si le duc de Guise fait bÇnir la sienne…

HENRI

Vous avez raison…Mais qui m’empàche de nommer Saint-MÇgrin chef de la Ligue?

CATHERINE

Et qui voudra le reconnaÃ¥tre? a-t-il un parti?…Peut-àtre y aurait-il un moyen de tout conjurer, mon fils; mais il faudrait de la rÇsolution.

HENRI, hÇsitant

De la rÇsolution!

CATHERINE

Oui; soyez roi, M. de Guise deviendra sujet soumis, sinon respectueux. Je le connais mieux que vous, Henri; il n’est fort que parce que vous àtes faible; sous son Çnergie apparente, il cache un caractäre irrÇsolu…C’est un roseau peint en fer…Appuyez, il pliera.

HENRI

Oui, oui, il pliera. Mais quel est ce moyen? Voyons!…faut-il les exiler tous deux? Je suis pràt Ö signer leur exil.

CATHERINE

Non; peut-àtre ai-je un autre moyen…Mais jurez-moi qu’Ö l’avenir vous me consulterez avant eux sur tout ce que vous voudrez faire.

HENRI

N’est-ce que cela, ma märe? Je vous le jure.

CATHERINE

Mon fils, les serments prononcÇes devant l’autel sont plus agrÇables Ö Dieu.

HENRI

Et lient mieux les hommes, n’est-ce pas? Eh bien, venez, ma märe, je m’abandonne entiärement Ö vous.

CATHERINE

Oui, mon fils, passons dans votre oratoire.

SCENE VI

LE DUC DE GUISE, puis RUGGIERI

LE DUC DE GUISE

Quand donc un homme arquebusade de favoris nous dÇlivera-t-elle de ces insolents petits muguets? M. le comte Caussade de Saint-MÇgrin…Le roi l’a fait comte; et qui sait oó s’arràtera ce champignon de fortune? Mayenne, avant son dÇpart, me l’avait recommandÇ. Je dois m’en dÇfier, dit-il: il a cru s’apercevoir qu’il aimait la duchesse de Guise et m’en a fait prÇvenir par Bassompierre…Tàte-Dieu! si je n’Çtais aussi sñr de la vertu de ma femme, M. de Saint-MÇgrin payerait cher ce soupáon! (Entre Ruggieri) Ah! c’est toi, Ruggieri.

RUGGIERI

Oui, monseigneur duc…

LE DUC DE GUISE

J’ai avancÇ d’un jour la rÇunion qui devait avoir lieu chez toi…Dans quelques minutes, nos amis seront ici…Je suis venu le premier, parce que je dÇsirais te trouver seul. Nicolas Poulain m’a dit que je pouvais compter sur toi.

RUGGIERI

Il a dit vrai…Et mon art…

LE DUC DE GUISE

Laissons lÖ ton art. Que j’y croie ou que je n’y croie pas, je suis trop bon chrÇtien pour y avoir recours. Mais je sais que tu es savant, versÇ dans la connaissance des manuscrits et des archives…C’est de cette science que j’ai besoin. Ecoute-moi. L’avocat Jean David n’a pu obtenir du saint-päre qu’il ratifiÉt la Ligue; il est rentrÇ en France…

RUGGIERI

Oui; les derniäres lettres que j’ai reáues de lui Çtaient datÇes de Lyon.

LE DUC DE GUISE

Il y est mort; il Çtait porteur de papiers importants…Ces papiers ont ÇtÇ soustraits. Parmi eux se trouvait une gÇnÇalogie que le duc de Guise, mon päre, de glorieuse mÇmoire, avait fait faire, en 1535, par Franáois Rosiäres. On y prouvait que les princes lorrains Çtaient la seule et vraie posteritÇ de Charlemagne. Mon päre, il faut me refaire un nouvel arbre gÇnÇalogique qui prenne sa racine dans celui des Carolingiens; il faut l’appuyer de nouvelles preuves. C’est un travail pÇnible et difficile, qui veut àtre bien payÇ. Voici un Ö-compte.

RUGGIERI

Vous serez content de moi, monseigneur.

LE DUC DE GUISE

Bien…Et que venaient faire ici ces jeunes papillons de cour que j’y ai trouvÇs?

RUGGIERI

Me consulter sur l’avenir.

LE DUC DE GUISE

Sont-ils donc mÇcontents du prÇsent?…Ils seraient bien difficiles. Ils se sont ÇloignÇs, n’est-ce pas?

RUGGIERI

Oui, monseigneur; ils sont au Louvre maintenant.

LE DUC DE GUISE

Que le Valois s’endorme au bruit de leur bourdonnement,, pour ne s’Çveiller qu’Ö celui de la cloche qui lui sonnera matines…Mais il y a quelqu’un dans l’antichambre…Ah! ah! c’est le päre CrucÇ.

ACTE TROISIEME
L’oratoire de la duchesse de Guise

SCENE PREMIERE
ARTHUR, MADAME DE COSSE, MARIE

MADAME DE COSSE, dÇposant sur une table de toilette un domino noir

Concevez-vous, Marie, madame la duchesse de Guise, qui veut aller au bal de la cour en simple domino?

MARIE, dÇposant des fleurs sur la màme table

C’est que madame la duchesse n’est pas coquette…

MADAME DE COSSE

Mais, sans àtre coquette, on peut tirer parti de ses avantages…A quoi servira-t-il d’àtre jolie et bien faite, si l’on se couvre la figure de ce masque noir, et si l’on s’enveloppe la taille de ce domino large comme une robe d’ermite? pourquoi ne pas se mettre en Diane ou en HÇbÇ?

ARTHUR

C’est qu’elle veut vous laisser ce costume, madame de CossÇ.

MADAME DE COSSE

Voyez donc ce petit muguet!…Allez ramasser l’Çventail de votre maÃ¥tresse, ou porter la queue de sa robe, et ne parlez pas toilette; vous n’y connaissez encore rien…Dans trois ou quatre ans, Ö la bonne heure!

ARTHUR

Tiens…Je vais avoir quinze ans.

MADAME DE COSSE

Quatorze ans, mon beau page, ne vous dÇplaise…

MARIE

Ce domino, d’ailleurs, n’est que pour entrer dans la salle de bal. Une partie des dames, vous le savez, ne se masquent que pour jouir du premier coup d’oeil, et reviennent ensuite en costume de ville.

MADAME DE COSSE

Et voilÖ le tort…Autrefois, on conservait son dÇguisement toute la nuit…Par exemple, au fameux bal masquÇ qui eut lieu lors de l’avänement au trìne de Henri II, il y a vingt-cinq ans…Je n’en avais que vingt.

ARTHUR

Il y a trente ans, madame de CossÇ, ne vous en dÇplaise.

MADAME DE COSSE

Vingt-cinq ou trente, peu importe…Alors je n’en avais que quinze. Eh bien, tout le monde resta en costume, jusqu’au moment oó l’astronome Lucas Gaudric prÇdit au roi qu’il serait tuÇ dans un combat singulier. Onze ans apräs Montgomery accomplit la prÇdiction.

ARTHUR

C’est bien malheureux! depuis ce temps, il n’y a plus de tournois.

MADAME DE COSSE

C’est effectivement quelque chose de bien fÉcheux…Il ferait beau voir jouter les jeunes gens de votre Çpoque: voilÖ de plaisants damerets, en comparaison des chevaliers de Henri II.

ARTHUR

Vous pourriez màme dire, en comparaison des chevaliers du roi Franáois Ier. Vous les avez vus, madame de CossÇ.

MADAME DE COSSE

J’Çtais un enfant…Je ne m’en souviens pas…Un enfant au berceau, entendez-vous?

MARIE

Mais il me semble, madame, que le baron-duc d’Epernon, le vicomte de Joyeuse, le seigneur de Bussy, le baron de Dunes…

ARTHUR

Et le comte de Saint-MÇgrin, donc!…

MADAME DE COSSE

Ah! vous voilÖ encore avec votre petit bordelais…J’aurais bien voulu le voir, avec une armure de deux cents livres, comme celle que portait M. de CossÇ, mon noble Çpoux, quand il me couronna dame de la beautÇ et des amours, et brisa en mon honneur cinq lances, dont M. de Saint-MÇgrin ne pourrait pas remuer la plus petite avec les deux mains…C’Çtait au fameux tournoi de Soissons…

MARIE

Au fameux tournoi de Soissons?…

ARTHUR

Eh! oui…au fameux tournoi de Soissons, en 1546, un an avant la mort du roi Franáois Ier, quand madame de CossÇ Çtait encore au berceau…

MADAME DE COSSE

Petit drìle!…vous vous fiez bien Ö ce que vous àtes le parent de madame la duchesse de Guise.

SCENE II
LES MEMES, LA DUCHESSE DE GUISE

ARTHUR, courant Ö elle

Oh! venez, ma belle cousine et maÃ¥tresse! et protÇgez-moi contre le courroux de votre premiäre dame d’honneur…

LA DUCHESSE DE GUISE, distraite

Qu’avez-vous fait? encore quelque espiäglerie?…

ARTHUR

Chevalier discourtois, je me souviens des dates.

MADAME DE COSSE, interrompant

Madame la duchesse parait prÇoccupÇe.

LA DUCHESSE DE GUISE

Moi? Non…N’auriez-vous pas trouvÇ ici un mouchoir Ö mes armes?

MARIE

Non, madame.

ARTHUR

Je vais le chercher; et, si je le trouve, quelle sera ma rÇcompense?

LA DUCHESSE DE GUISE

Ta rÇcompense, enfant?…Un mouchoir mÇrite-t-il donc une grande rÇcompense? Eh bien, cherche-le, Arthur.

MARIE

Pendant que Madame Çtait retirÇe dans son appartement, oó elle avait dit, en rentrant, qu’elle voulait rester seule, la reine Louise est venue pour lui faire une visite; elle avait dans sa bourse le plus joli petit sapajou…

MADAME DE COSSE

Oui, elle dÇsirait connaÃ¥tre le dÇguisement de madame. Elle est entrÇe chez madame de Montpensier; et, comme j’y Çtais, je connais tous les costumes des seigneurs et dames de la cour.

LA DUCHESSE DE GUISE, Ö Arthur, qui revient s’asseoir Ö ses pieds

Eh bien?

ARTHUR

Je n’ai rien trouvÇ…

MADAME DE COSSE

M. de Joyeuse est en Alcibiade…Il a un casque d’or massif…Son costume lui coñte, dit-on, dix mille livres tournois. M. d’Epernon est…

ARTHUR

Et M. de Saint-MÇgrin? (La duchesse tressaille)

MADAME DE COSSE

Ah!…M. de Saint-MÇgrin? Il avait aussi un costume träs-brillant; mais, aujourd’hui, il en a commandÇ un autre, tout simple, un costume d’astrologue, semblable Ö celui que porte Cìme Ruggieri.

LA DUCHESSE DE GUISE

Ruggieri?…Dites-moi, Ruggieri ne demeure-t-il pas rue de Grenelle, präs de l’hìtel de Soissons?

MARIE

Oui.

LA DUCHESSE DE GUISE, Ö part

Plus de doute!…c’Çtait chez lui…J’avais cru le reconnaÃ¥tre…(Haut) N’est-il venu aucune autre personne?

MADAME DE COSSE

Si…M. Brantìme, pour vous offrir le volume de ses _Dames galantes_… Je l’ai dÇposÇ sur cette table…La reine de Navarre y joue un grand rìle…Et puis M. Ronsard est aussi venu…il voulait absolument vous voir…Vous lui avez reprochÇ, l’autre jour, chez madame de Montpensier, de ne pas assez soigner ses rimes, et il vous apportait une petite piäce de vers.

LA DUCHESSE DE GUISE, avec distraction

Sur la rime?…

MADAME DE COSSE

Non, madame; mais mieux rimÇe qu’il n’a coutume de le faire. Madame la duchesse veut-elle les entendre?

LA DUCHESSE DE GUISE

Donnez Ö Arthur, il les lira.

ARTHUR, lisant

Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avoit desclose
Sa robe de pourpre au soleil
N’a point perdu, cette vesprÇe,
Les plis de sa robe pourprÇe
Et son teint au vostre pareil.

Las! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a, dessus la place,
LÖ, lÖ, ses beautÇs laissÇ choir. O vrayment marastre nature!
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!

Or donc, Çcoutez-moi, mignonne,
Tandis que votre Ége fleuronne,
Dans sa plus verte nouveautÇ,
Cueillez, cueillez votre jeunesse;
Comme Ö cette fleur, la vieillesse Fera ternir votre beautÇ.

LA DUCHESSE DE GUISE, toujours distraite

Mais il me semble qu’ils sont bien, ces vers.

ARTHUR

Oh! M. de Saint-MÇgrin en fait au moins d’aussi jolis…

LA DUCHESSE DE GUISE

M. de Saint-MÇgrin?…

MADAME DE COSSE

Ce ne sont pas des vers amoureux, toujours…

ARTHUR

Et pourquoi cela?

MADAME DE COSSE

Il est probable qu’il n’a encore trouvÇ aucune femme digne de son amour, puisqu’il est le seul, parmi tous les jeunes gens de la cour, qui ne porte pas le chiffre de sa dame sur son manteau.

ARTHUR

Et s’il aimait quelqu’un dont il ne pñt porter le chiffre?…Cela peut àtre.

LA DUCHESSE DE GUISE

Oui,…cela peut àtre.

MADAME DE COSSE, Ö Arthur

Mais qu’a donc de si remarquable ce petit comte de Saint-MÇgrin, pour àtre l’objet de votre enthousiasme?

ARTHUR

Si remarquable?…Ah! je ne demande rien que d’àtre digne de devenir son page, quand je ne pourrai plus àtre celui de ma belle cousine.

LA DUCHESSE DE GUISE

Tu l’aimes donc bien?

ARTHUR

Si j’Çtais femme, je n’aurais pas d’autre chevalier.

LA DUCHESSE DE GUISE, vivement

Mesdames, je puis achever ma toilette; je vous rappellerai, si j’ai besoin de vous…Reste, Arthur, reste; j’ai quelques commissions Ö te donner.

SCENE III
LA DUCHESSE DE GUISE, ARTHUR

ARTHUR

J’attends vos ordres.

LA DUCHESSE DE GUISE

Bien; mais je ne sais plus ce que j’avais Ö d’ordonner. Je suis distraite, prÇoccupÇe…Que tu es bizarre, avec ton fanatisme pour ce jeune vicomte de Joyeuse!

ARTHUR

Joyeuse?…Non…Saint-MÇgrin.

LA DUCHESSE DE GUISE

Ah! oui,…c’est vrai; mais que trouves-tu de si extraordinaire en ce jeune homme? Moi, je cherche en vain.

ARTHUR

Vous ne l’avez donc pas vu courir la bague avec le roi?

LA DUCHESSE DE GUISE

Si.

ARTHUR

Et qui donc pourriez-vous lui comparer pour l’adresse? S’il monte Ö cheval, c’est toujours le cheval le plus fougueux qui est le sien; s’il se bat moins souvent que les autres, c’est que l’on connaÃ¥t sa force, et qu’on hÇsite Ö lui chercher querelle. Le roi seul, peut-àtre, pourrait se dÇfendre contre lui. Tous nos jeunes seigneurs de la cour lui portent envie, et cependant la coupe de leur pourpoint et de leur manteau est toujours reglÇe sur celle des siens.

LA DUCHESSE DE GUISE

Oui, oui, c’est vrai…Il est homme de bon goñt; mais madame de CossÇ parlait de sa froideur pour les dames, et tu ne voudrais pas prendre pour modäle chevalier qui ne les aimÉt pas.

ARTHUR

La dame de Sauve est lÖ pour tÇmoigner du contraire.

LA DUCHESSE DE GUISE, vivement

La dame de Sauve!…On dit qu’il ne l’a jamais aimÇe.

ARTHUR

S’il ne l’aime plus, il en aime certainement un autre.

LA DUCHESSE DE GUISE

T’aurait-il choisi pour son confident?…Il ne ferait pas preuve de prudence, en le prenant si jeune…

ARTHUR

Si j’Çtais son confident, ma belle cousine, on me tuerait plutìt que de m’arracher son secret…Mais il ne m’a rien confiÇ…J’ai vu.

LA DUCHESSE DE GUISE

Tu as vu…quoi?…qu’as-tu vu?

ARTHUR

Vous vous rappelez le jour ou le roi invita toute la cour Ö visiter les lions qu’il avait fait venir de Tunis, et qu’on avait placÇs au Louvre avec ceux qu’il y nourrit dÇjÖ?…

LA DUCHESSE DE GUISE

Oh! oui…Leur aspect seul m’a effrayÇe, quoique je les visse d’une galerie ÇlevÇe de dix pieds au-dessus d’eux.

ARTHUR

Eh bien, Ö peine en Çtions-nous sortis que leur gardien poussa un cri; je rentrai: M. de Saint-MÇgrin venait de s’Çlancer dans l’enceinte des animaux pour y ramasser un bouquet qu’y avait laissÇ tomber une dame…

LA DUCHESSE DE GUISE

Le malheureux! ce bouquet Çtait le mien.

ARTHUR

Le vìtre, ma belle cousine?

LA DUCHESSE DE GUISE

Ai-je dit le mien?…Oui, le mien, ou celui de Madame de Sauve…Vous savez qu’il a Çperdument aimÇ madame de Sauve…Le fou!…Et que faisait-il de ce bouquet?

ARTHUR

Oh! il l’appuyait avec passion sur sa bouche, il le pressait contre son coeur…Le gardien ouvrit une porte, et le fit sortir presque de force…Il riait comme un insensÇ, lui jetait de l’argent; puis il m’aperáut, cacha le bouquet dans sa poitrine, s’Çlanáa sur un cheval qui l’attendait dans la cour du Louvre, et disparut.

LA DUCHESSE DE GUISE

Est-ce tout?…est-ce tout?…Oh! encore, encore!…parle-moi encore de lui!

ARTHUR

Et depuis, je l’ai vu, il…

LA DUCHESSE DE GUISE

Silence, enfant!…M. le duc…Reste präs de moi, Arthur; ne me quitte pas que je ne te l’ordonne…

SCENE IV

LES MEMES, LE DUC DE GUISE

LE DUC DE GUISE

Vous Çtiez levÇe, madame…Alliez-vous rentrer dans votre appartement?

LA DUCHESSE DE GUISE

Non, monsieur le duc, j’allais appeler mes femmes, pour ma toilette.

LE DUC DE GUISE

Elle est inutile, madame: le bal n’a pas lieu, et vous devez en àtre contente, vous paraissiez n’y aller qu’Ö contre-coeur?

LA DUCHESSE DE GUISE

Je suivais vos ordres, et j’ai fait ce que j’ai pu pour que vous ne vissiez pas qu’ils m’Çtaient pÇnibles.

LE DUC DE GUISE

Que voulez-vous!…J’ai compris que cette conclusion Ö laquelle vous vous condamniez Çtait ridicule Ö votre Ége…et qu’il fallait, de temps en temps, vous montrer Ö la cour; certaines personnes, madame, pourraient y remarquer votre absence, et l’attribuer Ö des motifs… Mais il s’agit d’autre chose, madame… Arthur, laissez-moi…

LA DUCHESSE DE GUISE

Et pourquoi Çloigner cet enfant, monsieur le duc? est-ce donc un entretien secret que vous voudriez?…

LE DUC DE GUISE

Et pourquoi le retenir, madame? Craindriez-vous de rester seule avec moi?

LA DUCHESSE DE GUISE

Moi, monsieur! et pourquoi?

LE DUC DE GUISE

En ce cas, sortez, Arthur…Eh bien?…

ARTHUR

J’attends les ordres de ma maÃ¥tresse, monsieur le duc.

LE DUC DE GUISE

Vous l’entendez, madame?

LA DUCHESSE DE GUISE

Arthur, Çloignez-vous.

ARTHUR

J’obÇis. (Il sort)

SCENE V

LA DUCHESSE DE GUISE, LE DUC DE GUISE

LE DUC DE GUISE

Vrai-Dieu! madame, il est bizarre que les ordres donnÇs par ma bouche aient besoin d’àtre ratifiÇs par la vìtre…

LA DUCHESSE DE GUISE

Ce jeune homme m’appartient, et il a cru devoir attendre de moi-màme…

LE DUC DE GUISE

Cette obstination n’est pas naturelle, madame; on connaÃ¥t Henri de Lorraine, et l’on sait qu’il a toujours chargÇ son poignard de rÇitÇrer un ordre de sa bouche.

LA DUCHESSE DE GUISE

Eh! monsieur, quelle consÇquence pouvez-vous tirer de plus ou moins d’obÇissance de cet enfant?

LE DUC DE GUISE

Moi? Aucune…Mais j’avais besoin de son absence pour vous exposer plus librement le motif qui m’amäne…Voulez-vous bien me servir de secrÇtaire?

LA DUCHESSE DE GUISE

Moi, monsieur! Et pour Çcrire Ö qui?

LE DUC DE GUISE

Que vous importe! c’est moi qui dicterai. (En approchant une plume et du papier) VoilÖ ce qu’il vous faut.

LA DUCHESSE DE GUISE

Je crains de ne pouvoir former un seul mot; ma main tremble; ne pourriez-vous par une autre personne?…

LE DUC DE GUISE

Non, madame, il est indispensable que ce soit vous.

LA DUCHESSE DE GUISE

Mais, au moins, remettez Ö plus tard…

LE DUC DE GUISE

Cela ne peut se remettre, madame; d’ailleurs, il suffira que votre Çcriture soit lisible…Ecrivez donc.

LA DUCHESSE DE GUISE

Je suis pràte…

LE DUC DE GUISE, dictant

ÆPlusieurs membres de la Sainte-Union se rassemblent cette nuit Ö l’Hìtel de Guise; les portes en resteront ouvertes jusqu’Ö une heure du matin; vous pouvez, Ö l’aide d’un costume de ligueur, passer sans àtre aperáu…L’appartement de madame la duchesse de Guise est au deuxiäme Çtage…Ø

LA DUCHESSE DE GUISE

Je n’Çcrirai pas davantage, que je ne sache Ö qui est destinÇ ce billet…

LE DUC DE GUISE

Vous le verrez, madame, en mettant l’adresse.

LA DUCHESSE DE GUISE

Elle ne peut àtre pour vous, monsieur; et Ö tout autre, elle compromet mon honneur…

LE DUC DE GUISE

Votre honneur…Vive-Dieu! madame; et qui doit en àtre plus jaloux que moi?…Laissez-m’en juge, et suivez mon dÇsir…

LA DUCHESSE DE GUISE

Votre dÇsir?…Je dois m’y refuser.

LE DUC DE GUISE

ObÇissez Ö mes ordres, alors…

LA DUCHESSE DE GUISE

A vos ordres?…Peut-àtre ai-je le droit d’en demander la cause…

LE DUC DE GUISE

La cause, madame? Tous ces retardements me prouvent que vous la connaissez.

LA DUCHESSE DE GUISE

Moi! et comment?

LE DUC DE GUISE

Peu importe!…Çcrivez…

LA DUCHESSE DE GUISE

Permettez que je me retire…

LE DUC DE GUISE

Vous ne sortirez pas…

LA DUCHESSE DE GUISE

Vous n’obtiendrez rien de moi en me contraignant Ö rester.

LE DUC DE GUISE, la foráant Ö s’asseoir

Peut-àtre, vous rÇflÇchirez, madame: mes ordres, mÇprisÇs par vous, ne le sont point encore par tout le monde…et, d’un mot, je puis substituer Ö l’oratoire ÇlÇgant de l’hìtel de Guise l’humble cellule d’un cloÃ¥tre.

LA DUCHESSE DE GUISE

DÇsignez-moi le couvent oó je dois me retirer, monsieur le duc; les biens que je vous ai apportÇs comme princesse de Porcian y payeront la dot de la duchesse de Guise.

LE DUC DE GUISE

Oui, madame; sans doute, vous jugez en vous-màme que ce ne serait qu’une faible expiation. D’ailleurs, l’espoir vous suivrait au delÖ de la grille; il n’est point de murs si ÇlÇvÇs qu’on ne puisse franchir, surtout si on y est aidÇ par un chevalier adroit, puissant et dÇvouÇ…Non, madame, non, je ne vous laisserai pas cette chance. Mais revenons Ö cette lettre; il faut qu’elle s’achäve.

LA DUCHESSE DE GUISE

Jamais, monsieur, jamais!

LE DUC DE GUISE

Ne me poussez pas Ö bout, madame; c’est dÇjÖ beaucoup que j’aie consenti Ö vous menacer deux fois.

LA DUCHESSE DE GUISE

Eh bien, je prÇfäre une reclusion Çternelle.

LE DUC DE GUISE

Mort et damnation! croyez-vous donc que je n’aie que ce moyen?

LA DUCHESSE DE GUISE

Et quel autre?…(Le duc verse le contenu d’un flacon dans une petite coupe) Ah! vous ne voudriez pas m’assassiner…Que faites-vous, monsieur de Guise? que faites-vous?

LE DUC DE GUISE

Rien…J’espäre seulement que la vue de ce breuvage aura une vertu que n’ont point mes paroles.

LA DUCHESSE DE GUISE

Eh quoi!…vous pourriez?…Ah!

LE DUC DE GUISE

Ecrivez, madame, ecrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE

Non, non. Oh! mon Dieu! mon Dieu!

LE DUC DE GUISE, saisissant la coupe

Eh bien?…

LA DUCHESSE DE GUISE

Henri, au nom du ciel! Je suis innocente, je vous le jure…Que la mort d’une femme faible ne souille pas votre nom. Henri, ce serait un crime affreux, car je ne suis pas coupable; j’embrasse vos genoux; que voulez-vous de plus? Oui, oui, je crains la mort.

LE DUC DE GUISE

Il y a moyen de vous y soustraire.

LA DUCHESSE DE GUISE

Il est plus affreux qu’elle encore…Mais non, tout cela n’est qu’un jeu pour m’Çpouvanter. Vous n’avez pas pu avoir, vous n’avez pas eu cette exÇcrable idÇe.

LE DUC DE GUISE, riant

Un jeu, madame!

LA DUCHESSE DE GUISE

Non…Votre sourire m’a tout dit…Laissez-moi un instant pour me recueillir. (Elle abaisse la tàte entre ses mains, et prie.)

LE DUC DE GUISE

Un instant, madame, rien qu’un instant.

LA DUCHESSE DE GUISE, apräs s’àtre recueillie

Et maintenant, ì mon Dieu! aie pitiÇ de moi!

LE DUC DE GUISE

Etes-vous dÇcidÇe?

LA DUCHESSE DE GUISE, se relevant toute seule

Je le suis.

LE DUC DE GUISE

A l’obÇissance?

LA DUCHESSE DE GUISE, prenant la coupe

A la mort!

LE DUC DE GUISE, lui arrachant la coupe et la jetant Ö terre

Vous l’aimiez bien, madame!…Elle a prÇfÇrÇ…MalÇdiction! malediction sur vous et sur lui!…sur lui surtout qui est tant aimÇ! Ecrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE

Malheur! malheur Ö moi!

LE DUC DE GUISE

Oui, malheur! car il est plus facile Ö une femme d’expirer que de souffrir. (Lui saisissant le bras avec son gant de fer) Ecrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE

Oh! laissez-moi.

LE DUC DE GUISE

Ecrivez.

LA DUCHESSE DE GUISE, essayant de dÇgager son bras

Vous me faites mal, Henri.

LE DUC DE GUISE

Ecrivez, vous dis-je!

LA DUCHESSE DE GUISE

Vous me faites bien mal, Henri; vous me faites horriblement mal…GrÉce! grÉce! ah!

LE DUC DE GUISE

Ecrivez donc.

LA DUCHESSE DE GUISE

Le puis-je? Ma vue se trouble…Une sueur froide…O mon Dieu! mon Dieu! je te remercie, je vais mourir. (Elle s’Çvanouit)

LE DUC DE GUISE

Eh! non, madame.

LA DUCHESSE DE GUISE

Qu’exigez-vous de moi?

LE DUC DE GUISE

Que vous m’obÇissiez.

LA DUCHESSE DE GUISE, accablÇe

Oui! oui! j’obÇis. Mon Dieu! tu le sais, j’ai bravÇ la mort…la douleur seule m’a vaincue…elle a ÇtÇ au delÖ de mes forces. Tu l’as permis, ì mon Dieu! le reste est entre tes mains.

LE DUC DE GUISE, dictant

ÆL’appartement de madame la duchesse de Guise est au deuxiäme Çtage, et cette clef en ouvre la porte.Ø L’adresse maintenant. (Pendant qu’il plie la lettre, madame de Guise reläve sa manche, et l’on voit sur son bras des traces bleuÉtres)

LA DUCHESSE DE GUISE

Que dirait la noblesse de France, si elle savait que le duc de Guise a meurtri un bras de femme avec un gantelet de chevalier?

LE DUC DE GUISE

Le duc de Guise en rendra raison Ö quiconque viendra la lui demander. Achevez: ÆA Monsieur le comte de Saint-MÇgrin.Ø

LA DUCHESSE DE GUISE

C’Çtait donc bien Ö lui?

LE DUC DE GUISE

Ne l’aviez-vous pas devinÇ?

LA DUCHESSE DE GUISE

Monsieur le duc, ma conscience me permettait d’en douter, du moins.

LE DUC DE GUISE

Assez, assez. Appelez un de vos pages, et remettez-lui cette lettre (allant Ö la porte du salon et ìtant la clef) et cette clef.

LA DUCHESSE DE GUISE

Ah! monsieur de Guise! puisse-t-on avoir plus pitiÇ de vous que vous n’avez eu pitiÇ de moi!

LE DUC DE GUISE

Appelez un page.

LA DUCHESSE DE GUISE

Aucun n’est lÖ…

LE DUC DE GUISE

Arthur, votre page favori, ne doit pas àtre loin; appelez-le, je vous l’ordonne! appelez-le!…Mais, auparavant, madame, faites bien attention que je suis lÖ, derriäre cette portiäre…Un seul signe, un seul mot, cet enfant est mort…et c’est vous qui l’aurez tuÇ…(Il siffle) Songez-y, madame…

LA DUCHESSE, appelant

Arthur!

SCENE VI
LES MEMES, ARTHUR

ARTHUR

Me voilÖ, madame, Dieu!…grand Dieu! que vous àtes pÉle!…

LA DUCHESSE DE GUISE

Moi, pÉle? Non, non…tu te trompes…(Lui tendant la lettre et la retirant) Ce n’est rien…Eloigne-toi, Arthur, Çloigne-toi…

ARTHUR

Moi, vous quitter, quand vous souffrez!…Voulez-vous que j’appelle vos femmes?

LA DUCHESSE DE GUISE

Garde-t’en bien, Arthur!…Prends cette lettre,…cette clef,…et va-t’en…Pars!…pars!…

ARTHUR, lisant

ÆA Monsieur le comte de Saint-MÇgrin…Ø Oh! qu’il sera heureux, madame!…Je cours… (Il sort)

LA DUCHESSE DE GUISE

Heureux?…Oh! non…non, reviens!…reviens, Arthur!…Arthur!…

LE DUC DE GUISE, lui mettant la main sur la bouche

Silence, madame!

LA DUCHESSE DE GUISE, tombant dans ses bras

Ah!…

LE DUC DE GUISE, l’emportant dans le salon, et refermant la porte avec une double clef

Et, maintenant, que cette porte ne se rouvre plus que pour lui!

ACTE QUATRIEME
Màme dÇcoration qu’au deuxiäme acte SCENE PREMIERE
ARTHUR, puis SAINT-MEGRIN

ARTHUR

Dans la salle du conseil, l’appartement de M. de Saint-MÇgrin, Ö gauche… (Saint-MÇgrin sort de son appartement) Pour vous, comte.

SAINT-MEGRIN

Cette lettre et cette clef sont pour moi, dis-tu? Oui… ÆA Monsieur le comte de Saint-MÇgrin.Ø De qui les tiens-tu?

ARTHUR

Quoique vous ne les attendissiez de personne, ne pouviez-vous les espÇrer de quelqu’un?

SAINT-MEGRIN

De quelqu’un?…Comment?…Et qui es-tu, toi-màme?

ARTHUR

Etes-vous si ignorant en blason, comte, que vous ne puissiez reconnaÃ¥tre les armes rÇunies de deux maisons souveraines?…

SAINT-MEGRIN

La duchesse de Guise!… (Lui mettant la main sur la bouche) Tais-toi!…Je sais tout… (Il lit) Elle-màme t’a remis cette lettre?…

ARTHUR

Elle-màme.

SAINT-MEGRIN

Elle-màme!…Jeune homme, ne cherche pas Ö m’abuser!…Je ne connais pas son Çcriture…Avoue-le-moi, tu as voulu me tromper…

ARTHUR

Moi, vous tromper?…Ah!…

SAINT-MEGRIN

Oó t’a-t-elle remis cette lettre?

ARTHUR

Dans son oratoire.

SAINT-MEGRIN

Elle Çtait seule?

ARTHUR

Seule.

SAINT-MEGRIN

Et que paraissait-elle Çprouver?

ARTHUR

Je ne sais, mais elle Çtait pÉle, et tremblante.

SAINT-MEGRIN

Dans son oratoire! seule, pÉle et tremblante!…Tout cela devait àtre, et cependant j’Çtais si loin de m’attendre…Non, c’est impossible. (Il relit) ÆPlusieurs membres de la Sainte-Union se rassemblent cette nuit Ö l’Hìtel de Guise; les portes en resteront ouvertes jusqu’Ö une heure du matin. A l’aide d’un dÇguisement de ligueur, vous pouvez passer sans àtre aperáu. L’appartement de madame la duchesse de Guise est au deuxiäme Çtage, et cette clef en ouvre la porte. –A Monsieur le comte de Saint-MÇgrin.Ø C’est bien Ö moi…pour moi; ce n’est point un songe,…ma tàte ne s’Çgare pas…Cette clef,…ce papier,…ces lignes tracÇes, tout est rÇel!…il n’y a point lÖ d’illusion… (Il porte la lettre Ö ses lävres) Je suis aimÇ!…aimÇ!…

ARTHUR

A votre tour, comte, silence!…

SAINT-MEGRIN

Oui, tu as raison, silence! et Ö toi aussi, jeune homme, silence!… Sois muet comme la tombe…Oublie ce que tu as fait, ce que tu as vu, ne te rappelle plus mon nom, ne te rappelle plus celui de ta maÃ¥tresse. Elle a montrÇ de la prudence en te chargeant de ce message. Ce n’est point parmi les enfants qu’on doit craindre les dÇlateurs.

ARTHUR

Et moi, comte, je suis fier d’avoir un secret Ö nous deux.

SAINT-MEGRIN

Oui;…mais un secret terrible; un de ces secrets qui tuent. Ah! fais en sorte que ta physionomie ne le trahisse pas, que tes yeux ne le rÇvälent jamais…Tu es jeune: conserve la gaietÇ et l’insouciance de ton Ége. S’il arrive que nous nous rencontrions, passe sans me connaÃ¥tre, sans m’apercevoir; si tu avais encore dans l’avenir quelque chose Ö m’apprendre, ne l’exprime point par des paroles, ne le confie pas au papier; un signe, un regard me dira tout…Je devinerai le moindre de tes gestes; je comprendrai ta plus secräte pensÇe. Je ne puis te rÇcompenser du bonheur que je te dois…Mais, si jamais tu avais besoin de mon aide ou de mon secours, viens Ö moi, parle…et ce que tu demanderas, tu l’auras, sur mon Éme, fñt-ce mon sang. Sors, sors, maintenant, et garde que personne ne te voie…Adieu, adieu!

ARTHUR, lui pressant la main

Adieu, comte, adieu!

SCENE II
SAINT-MEGRIN, puis GEORGES

SAINT-MEGRIN

Va, jeune homme, et que le ciel veille sur toi! Ah! je suis aimÇ!…Mais il est dix heures; j’ai Ö peine le temps de me procurer le costume Ö l’aide duquel…Georges! Georges! (Son valet entre) Il me faut pour ce soir un costume de ligueur; occupe-toi Ö l’instant de te le procurer. Que je le trouve ici quand j’en aurai besoin; va. (Georges sort) Mais qui vient ici?…Ah! c’est Cìme Ruggieri.

SCENE III
SAINT-MEGRIN, RUGGIERI

SAINT-MEGRIN

Viens, oh! viens, mon päre, que je te remercie. Eh bien, toutes tes prÇdictions se sont rÇalisÇes. Je te rends grÉce, car je suis heureux; oh! oui, oui, plus heureux que tu ne peux le croire…Tu ne me rÇponds pas, tu m’examines!

RUGGIERI, le conduisant vers la lumiäre

Jeune homme, avance avec moi.

SAINT-MEGRIN

Oh! que peux-tu lire sur mon front, si ce n’est un avenir d’amour et de bonheur?

RUGGIERI

La mort, peut-àtre.

SAINT-MEGRIN

Que dites-vous, mon päre!…

RUGGIERI

La mort!…

SAINT-MEGRIN, riant

Ah! mon päre, de grÉce, laissez-moi vivre jusqu’Ö demain, c’est tout ce que je vous demande.

RUGGIERI

Mon fils, souviens-toi de Dugast.

SAINT-MEGRIN

Dugast!…Il est vrai que je cours un danger; demain, je me bats avec le duc de Guise.

RUGGIERI

Demain! Ö quelle heure?

SAINT-MEGRIN

A dix heures.

RUGGIERI

Ce n’est pas cela. Si demain, Ö dix heures, tu vois encore la lumiäre du ciel, compte alors sur des jours longs et heureux. (Allant Ö la fenàtre) Vois-tu cette Çtoile?

SAINT-MEGRIN

Qui brille präs d’une autre plus brillante encore?

RUGGIERI

Oui; et, Ö l’occident, distingues-tu ce nuage sombre qui n’est encore qu’un point dans l’immensitÇ?

SAINT-MEGRIN

Oui; eh bien?…

RUGGIERI

Eh bien, dans une heure, cette Çtoile aura disparu sous ce nuage, et cette Çtoile, c’est la tienne. (Il sort)

SCENE IV
SAINT-MEGRIN, puis JOYEUSE

SAINT-MEGRIN

Cette Çtoile, c’est la mienne! Ruggieri, arràte!…Il ne m’entend pas; il entre chez la reine märe. Cette Çtoile, c’est la mienne; et ce nuage!…Vive-Dieu! je suis bien insensÇ de croire aux paroles de ce visionnaire…Ces signes ne l’ont jamais trompÇ, dit-il. Dugast, Dugast! et toi aussi, tu volais comme moi Ö un rendez-vous d’amour, lorsque tu es tombÇ assassinÇ; et ton sang, en sortant de tes vingt-deux blessures, bouillait encore d’espÇrance et de bonheur. Ah! si je dois mourir aussi, mon Dieu! mon Dieu! que je ne meure du moins qu’au retour! (Entre Joyeuse)

JOYEUSE

Je te cherchais, Saint-MÇgrin. Eh bien, que fais-tu lÖ? Est-ce que tu lis dans les astres, toi?

SAINT-MEGRIN

Moi? Non.

JOYEUSE

Je t’avais pris en entrant pour un astrologue. Quoi! encore? Mais qu’as-tu donc?

SAINT-MEGRIN

Rien, rien: je regarde le ciel.

JOYEUSE

Il est superbe! les Çtoiles Çtincellent.

SAINT-MEGRIN, avec mÇlancolie

Joyeuse, crois-tu qu’apräs notre mort, notre Éme doive habiter un des ces globes brillants, sur lesquels notre vue s’est arràtÇe tant de fois pendant notre vie?

JOYEUSE

Ces pensÇes ne me sont jamais venues, sur mon Éme; elles sont trop tristes…Tu connais ma devise: *Hilariter*, joyeusement!…voilÖ pour ce monde…Quant Ö l’autre, peu m’importe ce qu’il sera, pourvu que je m’y trouve bien.

SAINT-MEGRIN, sans l’Çcouter

Crois-tu que, lÖ, nous serons rÇunis aux personnes que nous avons aimÇes ici-bas?…Dis; crois-tu que l’ÇternitÇ puisse àtre le bonheur?…

JOYEUSE

Vrai-Dieu! tu deviens fou, Saint-MÇgrin; quel diable de langage me parles-tu lÖ? Arrange-toi de maniäre que, demain, Ö pareille heure, M. de Guise puisse t’en donner des nouvelles sñres, et ne me demande pas cela, Ö moi. J’ai dÇjÖ le cou tout disloquÇ d’avoir regardÇ en l’air.

SAINT-MEGRIN

Tu as raison; oui, je suis un insensÇ…

JOYEUSE

Voici le roi…Voyons, Çloigne cet air soucieux. On dirait, sur mon Éme, que ce duel t’inquiäte. Est-ce que tu serais fÉchÇ?…

SAINT-MEGRIN

Moi, fÉchÇ?…Vrai-Dieu! s’il me tue, Joyeuse, ce ne sera pas ma vie que je regretterai, ce sera de lui laisser la sienne.

SCENE V
LES MEMES, HENRI, D’EPERNON, SAINT-LUC, BUSSY, DU HALDE, Plusieurs Pages et Seigneurs; puis CATHERINE DE MEDICIS

HENRI

Soyez tranquilles, messieurs, soyez tranquilles: toutes nos mesures sont prises. Seigneur de Bussy, nous vous rendons notre amitiÇ, en rÇcompense de la maniäre dont vous avez secondÇ notre brave sujet le comte de Saint-MÇgrin.

BUSSY D’AMBOISE

Sire!

HENRI, Ö SAINT-MEGRIN

Te voilÖ, mon digne ami; pourquoi n’es-tu pas venu me voir? Messieurs, ma märe assistera Ö la sÇance; prÇvenez-la qu’elle va s’ouvrir. Ah! auparavant, sur la premiäre marche, placez un tabouret pour M. le comte de Saint-MÇgrin. (A Saint-MÇgrin) J’ai Ö te parler…Par la mort-Dieu! nous voilÖ tous rassemblÇs, messieurs; il ne nous manque plus que notre beau cousin de Guise…

CATHERINE, entrant

Il ne se fera pas attendre, mon fils; j’ai aperáu ses pages dans l’antichambre.

HENRI

Ils seront les bienvenus, ma märe. Messieurs, prenez vos places. D’Epernon, la tienne est devant cette table; c’est toi qui seras notre secrÇtaire, en l’absence de Morvilliers…

CATHERINE

Surtout, sire…

HENRI

Soyez tranquille, ma märe, soyez tranquille, vous avez ma parole.

SCENE VI
LES MEMES, LE DUC DE GUISE

HENRI

Entrez, mon beau cousin, entrez. Nous avions songÇ d’abord Ö faire dresser, nous-màme, l’acte de reconnaissance que nous avions promis; mais nous avons pensÇ, depuis, que celui que M. d’Humiäres a fait signer aux nobles de PÇronne et de la Picardie serait ce qu’il y aurait de mieux. Quant Ö celui de nomination du chef, un article au bas du premier suffira, et dÇjÖ vous avez sans doute quelques idÇes pour sa rÇdaction?

LE DUC DE GUISE

Oui, sire, je m’en suis occupÇ. J’ai voulu Çpargner Ö Votre MajestÇ la peine…l’ennui.

HENRI

Vous àtes bien aimable, mon cousin; veuillez donner cet acte Ö M. le baron d’Epernon: lisez-le-nous Ö haute et intelligible voix, baron. Or, Çcoutez, messieurs.

D’EPERNON, lisant

ÆAssociation faite entre les princes, seigneurs, gentilshommes et autres, tant de l’Çtat ÇcclÇsiastique que de la noblesse de Picardie. Premiärement…Ø

HENRI

Attends, d’Epernon. Messieurs, nous connaissons tous cet acte, dont je vous ai montrÇ copie; il est donc inutile de lire les dix-huit articles dont il se compose: passez Ö la fin; et vous, monsieur le duc, approchez et dictez vous-màme. RÇflÇchissez qu’il s’agit de nommer un chef Ö une grande association! Il faut donc que ce chef ait de grands pouvoirs…Enfin, mon beau cousin, faites comme pour vous.

LE DUC DE GUISE

Je vous remercie de votre confiance, sire, vous serez content.

SAINT-MEGRIN

Que faites-vous, sire?…

HENRI

Laisse-moi.

LE DUC DE GUISE, dictant

ÆIß L’homme que Sa MajestÇ honorera de son choix devra àtre issu d’une maison souveraine, digne de l’amour et de la confiance des Franáais par sa conduite passÇe et sa foi Ö la religion catholique. 2ß Le titre de lieutenant gÇnÇral du royaume de France lui sera octroyÇ, et les troupes seront mises Ö sa disposition. 3ß Comme ses actions auront pour but le plus grand bien de la cause, il ne devra en rendre compte qu’Ö Dieu et Ö sa conscience.Ø

HENRI

Träs-bien.

SAINT-MEGRIN

Bien!…Et vous pouvez approuver de semblables conditions, sire!… revàtir un homme d’une pareille puissance!

HENRI

Silence!

JOYEUSE

Mais, sire…

HENRI

Silence, messieurs! nous dÇsirons, entendez-vous nous dÇsirons positivement que, quel que soit le choix que nous allons faire, il vous soit agrÇable. Mon cousin, donnez-leur donc, en bon et loyal sujet, un exemple de soumission. Vous àtes le premier de mon royaume apräs moi, mon beau cousin, et dans ce cas surtout, vous àtes interessÇ Ö ce qu’on m’obÇisse…

LE DUC DE GUISE

Sire, je reconnais d’avance pour chef de la Sainte-Union celui que vous allez dÇsigner, et je regarderai comme rebelle quiconque osera braver ses ordres.

HENRI

C’est bien, monsieur le duc. Ecris, d’Epernon. (Se levant devant son trìne) ÆNous, Henri de Valois, par la grÉce de Dieu, roi de France et de Pologne, approuvons, par le prÇsent acte rÇdigÇ par notre fÇal et aimÇ cousin Henri de Lorraine, duc de Guise, l’association connue sous le nom de la Sainte-Union…et, de notre autoritÇ, nous nous en dÇclarons le chef.Ø

LE DUC DE GUISE

Comment!…

HENRI

ÆEn foi de quoi, nous l’avons fait revàtir de notre sceau royal (descendant du trìne et prenant la plume), et l’avons signÇ de notre main. Henri de Valois.Ø (Passant la plume au duc de Guise) A vous, mon cousin; Ö vous qui àtes le premier du royaume, apräs moi…Eh bien, vous hÇsitez? Croyez-vous que le nom de Henri de Valois et les trois fleurs de lis de France ne figurent pas aussi dignement au bas de cet acte que le nom de Henri de Guise et les trois merlettes de Lorraine? Par la mort-Dieu! vous vouliez un homme que possÇdÉt l’amour des Franáais…Est-ce que nous ne sommes pas aimÇ, monsieur le duc? RÇpondez d’apräs votre coeur. Vous vouliez un homme d’une haute noblesse; je me crois aussi bon gentilhomme que qui que ce soit ici. Signez donc, monsieur le duc, signez; car vous avez dit vous-màme que quiconque ne signerait pas, serait un rebelle.

LE DUC DE GUISE, Ö Catherine Ö part

O Catherine, Catherine!

HENRI, indiquant la place oó Guise doit signer

LÖ, monsieur le duc, au-dessous de moi.

JOYEUSE

Vive-Dieu! je ne m’attendais pas Ö celle-lÖ. (Tendant la main pour prendre la plume) Apräs vous, monsieur de Guise.

HENRI

Oui, messieurs, signez, signez tous. D’Epernon, tu veilleras Ö ce que des copies de cet acte soient envoyÇes dans toutes les provinces de notre royaume.

D’EPERNON

Oui, sire.

SAINT-PAUL, Ö demi-voix, au duc de Guise

Nous n’avons pas ÇtÇ heureux, monsieur le duc, dans notre premiäre entreprise.

LE DUC DE GUISE, de màme, Ö Saint-Paul

La fortune nous doit un dÇdommagement; la seconde rÇussira. Mayenne est arrivÇ. Vous prendrez ses ordres.

HENRI

Messieurs, nous vous demandons bien pardon de cette longue sÇance; cela n’a pas ÇtÇ tout Ö fait aussi amusant qu’un bal masquÇ; mais prenez-vous-en Ö notre beau cousin de Guise; c’est lui qui nous y a forcÇ. Adieu, monsieur le duc, adieu. Veillez toujours sur les besoins de l’Etat, en bon et fidäle sujet, comme vous venez de le faire, et n’oubliez pas que quiconque n’obÇira pas au chef que j’ai nommÇ sera dÇclarÇ coupable de haute trahison. Sur ce, je vous abandonne Ö la garde de Dieu, messieurs. Reste, Saint-MÇgrin… Etes-vous contente de moi, ma märe?

CATHERINE

Oui, mon fils; mais n’oubliez pas que c’est moi…

HENRI

Non, non, ma märe; d’ailleurs, vous vous chargeriez de m’en faire souvenir,…n’est-ce pas?

SAINT-MEGRIN, Ö part

Elle m’attend, et le roi m’a dit de rester. (Tous sortent sauf Henri et Saint-MÇgrin)

SCENE VII
HENRI, SAINT-MEGRIN

HENRI

Eh bien, Saint-MÇgrin, j’ai profitÇ, je l’espäre, de tes conseils; j’ai dÇtrìnÇ mon cousin de Guise, et me voilÖ roi des ligueurs, Ö sa place.

SAINT-MEGRIN

Puissiez-vous ne pas vous en repentir, sire! mais cette idÇe n’est pas de vous. J’y ai reconnu…

HENRI

Eh bien, quoi?…Parle…

SAINT-MEGRIN

La politique cauteleuse de votre märe…Elle croit avoir tout gagnÇ, lorsqu’elle a gagnÇ du temps. Je me doutais qu’elle machinait quelque chose contre le duc de Guise…Je l’avais entendue, en lui parlant, l’appeler son ami. Quant Ö vous, sire, c’est Ö regret que je vous ai vu signer cet acte. Vous Çtiez roi, vous n’àtes plus qu’un chef de parti.

HENRI

Et que fallait-il donc faire?

SAINT-MEGRIN

Repousser la politique florentine, et agir franchement.

HENRI

De quelle maniäre?

SAINT-MEGRIN

En roi…Vive-Dieu! les preuves de la rebellion de M. le duc de Guise ne vous auraient pas manquÇ.

HENRI

Je les avais.

SAINT-MEGRIN